Les rituels vestimentaires de Victor Hugo : bien plus qu’un détail
Victor Hugo n’était pas seulement un génie littéraire. Il était aussi un homme attaché à des habitudes bien précises lorsqu’il écrivait, y compris dans sa manière de s’habiller. La légende veut qu’il ait parfois choisi des tenues très inhabituelles – voire déroutantes – pour se plonger pleinement dans l’acte d’écriture. Ces rituels vestimentaires, souvent perçus comme anecdotiques, dévoilent pourtant une part précieuse de son processus créatif, voire de sa personnalité profonde.
Écrire n’est pas uniquement une activité intellectuelle pour de nombreux écrivains ; c’est aussi une posture physique, mentale, presque spirituelle. Dans ce contexte, chaque élément du décor, chaque geste et chaque vêtement peuvent influencer la mise en condition. Chez Victor Hugo, cette logique semble poussée à l’extrême. Et c’est peut-être aussi pour cela que son œuvre déborde d’énergie, de vision, de souffle prophétique.
Nu devant la page blanche : une légende tenace
Parmi les histoires les plus célèbres (et les plus curieuses) que l’on raconte sur les habitudes d’écriture de Victor Hugo se trouve celle de sa prétendue nudité lorsqu’il écrivait. Selon son biographe Charles Hugo (son propre fils), l’auteur des Miserables se serait enfermé nu chez lui pour éviter toute tentation de sortir dans la rue pendant qu’il écrivait. Il ordonnait même, dans certaines circonstances, qu’on lui retire ses vêtements ou qu’on les cache, afin qu’il n’ait d’autre choix que de rester enfermé pour travailler.
Si cette anecdote, rapportée aussi dans plusieurs biographies ultérieures, peut prêter à sourire, elle illustre en réalité une attitude très sérieuse : Hugo cherchait à éliminer toutes distractions, même potentiellement agréables comme une balade impromptue dans les rues de Paris. L’écriture devait primer sur tout, et Hugo s’imposait une forme d’ascèse volontairement contraignante. Cela rappellera peut-être aux lectrices l’étrange méthode de Flaubert pour trouver le mot juste, tout aussi obsessionnelle.
Des vêtements pour la création : entre théâtre intérieur et discipline
Il est important de noter que Victor Hugo n’était pas forcément nu en toutes circonstances quand il écrivait. D’autres témoignages indiquent qu’il pouvait au contraire endosser une sorte de « tenue de travail », distincte de ses habits de ville. Dans son exil à Guernesey, où il écrivit certaines de ses œuvres les plus marquantes comme Les Contemplations et Les Travailleurs de la mer, Hugo portait une tenue plus simple, presque monacale, destinée à favoriser la concentration.
Certains chercheurs parlent même d’une cape particulière qu’il aimait revêtir, ou d’un grand châle noir qu’il jetait sur ses épaules. On est loin ici du luxe ou du souci de l’apparence : il s’agissait d’incarner une posture intérieure. Ces vêtements faisaient acte de transition, signalant à son corps et à son esprit qu’il entrait littéralement dans un autre espace, celui de la création. Ce type de conditionnement psychologique et vestimentaire n’est pas unique à Hugo. On le retrouve également chez Mary Shelley, qui écrivait ses romans à la lueur d’une vieille lanterne.
L'écrivain et le décor : une scénographie de l’esprit
Victor Hugo avait un sens artistique qui dépassait la littérature. Peintre doué, architecte à ses heures, décorateur de ses propres intérieurs, l’auteur savait créer une atmosphère propice à l’inspiration. Ses vêtements d’écriture faisaient donc partie d’un tableau plus large qu’il composait autour de lui : des rideaux tirés, une petite fenêtre ouverte sur la mer (à Hauteville House), des objets fétiches posés méthodiquement autour de lui, souvent des éléments gothiques ou ésotériques.
On pourrait le rapprocher en cela d’autres auteurs dont les objets et les rituels structurent les heures d’écriture. À ce sujet, on recommandera à nos lectrices l’article sur l’objet fétiche que J.K. Rowling gardait toujours près d’elle. Chacun et chacune s’invente un théâtre intime pour faire surgir le verbe.
Pourquoi cela fascine encore aujourd’hui ?
En 2024, où la culture du télétravail a rendu plus floue la frontière entre l’espace personnel et l’espace professionnel, les tenues d’écriture d’un auteur comme Victor Hugo résonnent d’autant plus. Faut-il s’habiller comme si l’on allait quelque part pour bien écrire ? Ou au contraire se délester de tous les vêtements sociaux pour accéder à une vérité brute ?
Cette question, Hugo l’a incarnée littéralement. Son corps libéré des contraintes vestimentaires, ou enveloppé d’un habit spécifique, devenait le médium de l’écriture. Son exemple invite à une réflexion intime : comment se créer un espace protecteur, unique, presque sacré, pour écrire ou méditer ? Certaines lectrices auront peut-être leurs propres objets ou rituels, comme ce poème secret que Paul Éluard portait toujours sur lui.
Conclusion : Et vous, quelle serait votre tenue d’écriture idéale ?
L’étrange habitude vestimentaire de Victor Hugo n’est pas à imiter pour le geste seul. Ce qui importe, c’est l’idée d’un espace-temps à part, où l’on se donne les conditions de sa propre expression. Hugo l’a fait avec la rigueur d’un moine et l’exubérance d’un visionnaire. Sa manière de s’habiller (ou de ne pas s’habiller) pour écrire fait partie de cette tension puissante qui traversait toute sa vie : entre le sacré et le quotidien, entre l'épique et l'intime.
À vous maintenant de réfléchir à ce qui, dans votre quotidien, pourrait devenir ce petit rituel inspirant. Un châle doux, un carnet fétiche, une lumière tamisée. Et si ces éléments devenaient vos portes d’entrée vers la création ? Peut-être trouverez-vous un peu de cette magie chez vous, comme Tolstoï avec sa superstitieuse habitude avec ses manuscrits.