La littérature égyptienne contemporaine est un terrain fertile d’exploration pour celles qui souhaitent découvrir une autre facette du monde arabe. Riche d’une histoire millénaire, l’Égypte offre aujourd’hui un vivier d’écrivain·e·s qui parlent avec lucidité des paradoxes sociaux, des tensions politiques, de la condition féminine, ou encore du rôle de la mémoire. Que vous soyez attirée par des récits intimes, politiques ou poétiques, cette sélection vous permettra d’entrer dans cet univers littéraire sans vous sentir submergée.
Pourquoi découvrir la littérature égyptienne contemporaine ?
L’Égypte est souvent perçue à travers les prismes du tourisme ou de l’histoire antique, mais peu de personnes connaissent réellement la richesse de sa création littéraire actuelle. Pourtant, ses écrivaines et écrivains contemporains s’expriment avec puissance sur les turbulences sociales, les espoirs de réforme, la complexité des identités et les héritages culturels à réinventer. Lire la littérature égyptienne contemporaine, c’est comprendre une société qui, tout en étant en pleine transformation, conserve un lien organique avec son passé, et où la poésie s’entrelace avec le combat quotidien.
Cette exploration s’inscrit naturellement dans notre envie de faire découvrir les voix féminines dans la littérature mondiale, ou encore de plonger dans les sensibilités d'autres scènes littéraires comme la littérature israélienne ou la poésie saharienne à travers la littérature touareg.
Cinq romans égyptiens contemporains incontournables
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"L’Immeuble Yacoubian" d’Alaa El Aswany
Véritable fresque du Caire contemporain, ce roman a connu un succès instantané à sa sortie en 2002. À travers une galerie de personnages issus de différentes couches sociales réunis dans un immeuble du centre-ville, El Aswany dévoile les tensions sociales, les questions de genre, de corruption et de religion. Un texte accessible et captivant pour débuter. -
"Chronique d’un homme ordinaire" de Khaled Al Khamissi
Ce roman est une suite d’histoires rapides et percutantes, inspirées par les conversations de l’auteur avec des chauffeurs de taxi au Caire. Un regard désabusé mais profondément humain sur la société égyptienne post-2000. Un livre qui donne voix au peuple, sans superflu. -
"Chicago" d’Alaa El Aswany
Dans ce second roman de l’auteur de "L’Immeuble Yacoubian", El Aswany s’installe cette fois aux États-Unis pour parler de l’exil, de l’identité, de la vie en diaspora et des tensions culturelles vécues par les Égyptiens à l’étranger. Un récit choral intense qui ne renie jamais la complexité des personnages. -
"Les Femmes de Karantina" de Nael Eltoukhy
Plus radical, futuriste et ironique, ce roman dystopique publié en 2013 propose une vision d’une Égypte éventrée par le crime organisé et la corruption, dominée par une famille matriarcale. Une satire sociale tranchante et poétique, portée par une langue inventive. -
"Zaat" de Sonallah Ibrahim
Roman essentiel publié en 1992 et récemment réédité, "Zaat" brosse le portrait d’une fonctionnaire ordinaire dans l’Égypte des années 1970 à 1990. Les chapitres alternent entre la fiction et la coupure de presse réelle, pour mieux montrer les contradictions de la société. Un style austère mais d’une efficacité remarquable.
Focus sur les autrices égyptiennes à découvrir
La scène littéraire égyptienne ne se limite pas aux voix masculines. Plusieurs écrivaines apportent un souffle nouveau en abordant les normes sociales, la sexualité, la famille ou la religion à travers leur prisme personnel. Parmi elles :
- Nawal El Saadawi – Médecin, féministe et autrice, elle est un pilier de la pensée critique sur la condition des femmes. Son roman "La Femme au point zéro" (1975) reste une lecture fondamentale, encore bouleversante aujourd'hui.
- Iman Mersal – Poétesse et essayiste, elle construit des ponts entre l’histoire familiale et l’exil. Son livre "Sur les traces d’Enayat Zayyat" explore avec justesse la mémoire féminine, l’héritage intellectuel et l’anxiété contemporaine.
- Miral al-Tahawy – Autrice bédouine, elle est l’une des premières à donner voix à cette communauté dans la fiction. Ses romans comme "L’Allée des femmes" dépeignent la vie des femmes isolées confrontées aux traditions rigides.
Ces voix s’inscrivent dans la même logique d’exploration que celle que nous proposons dans notre article consacré aux romancières colombiennes ou aux voix argentines.
Où trouver ces ouvrages ?
La traduction de la littérature arabe en français a connu un essor depuis les années 2000. Des maisons comme Actes Sud (collection Sindbad), Gallimard, Le Seuil ou encore L’Olivier ont rendu possibile l’accès à ces textes. Vous pouvez également consulter les sections « Littératures arabes » ou « Littératures du monde » dans les librairies indépendantes, ou sur des plateformes comme Babelio et Cairn.info pour identifier prioritairement les titres disponibles en français.
Conseils pour bien aborder ces lectures
- Commencez par Alaa El Aswany ou Nawal El Saadawi, car leur style est direct, et les intrigues tiennent en haleine.
- Lisez avec un carnet ou une appli de notes à portée de main. La politique ou la religion peuvent interférer avec la narration et soulever des questions intéressantes à creuser.
- Ne cherchez pas à tout comprendre dès la première lecture. Il s’agit de vous familiariser avec un nouveau ton, un rythme narratif parfois décalé par rapport à la littérature occidentale.
Conclusion : une invitation à élargir ses horizons littéraires
La littérature égyptienne contemporaine n’a pas pour ambition de « plaire », mais de dire — dire le quotidien, dire l’attente, dire la révolte, dire la fatigue et la beauté. Elle est un souffle venu d’une rive dont on parle peu, mais sans laquelle rien ne serait vraiment fidèle à l’histoire humaine.
Pour la lectrice curieuse, c’est l’occasion de découvrir des récits puissants et sincères, au plus près des corps et des âmes qui peuplent Le Caire, Alexandrie ou les coins les plus reculés du Delta. C’est aussi une façon de rencontrer des femmes et des hommes qui, à leur façon, réinventent le langage pour mieux habiter le présent.