Lou Andreas-Salomé, figure intellectuelle majeure de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, a souvent été évoquée sous le prisme de son influence auprès de Nietzsche, Rilke ou Freud. Toutefois, très peu d’articles se penchent sur une dimension pourtant révélatrice : son apparence physique, et plus précisément, ses vêtements. Que portait-elle lorsqu’elle écrivait ? Son style vestimentaire offre-t-il un écho à sa pensée libre et affranchie ? C'est ce que nous allons explorer aujourd'hui.
Lou Andreas-Salomé : une femme libre dans son corps comme dans son esprit
Née en 1861 à Saint-Pétersbourg, Lou Andreas-Salomé est l’une des premières femmes à avoir accédé au statut de penseuse reconnue dans un monde littéraire dominé par les hommes. Très jeune, elle rejette les conventions sociales, particulièrement celles imposées aux femmes. Ce refus s’est manifesté aussi bien dans sa vie privée que dans le choix de ses vêtements.
Si peu de sources donnent une liste précise des tenues qu’elle portait lorsqu’elle écrivait, de nombreuses photographies d’époque, lettres personnelles et descriptions de proches éclairent tout de même sur son style vestimentaire. Ce que l’on découvre, c'est une femme qui privilégiait les habits simples, pratiques mais toujours empreints d’une élégance discrète. Un contre-pied assumé aux tenues corsetées et surchargées attendues de son milieu.
Photographies et témoignages : indices sur sa garde-robe d’écriture
Parmi les documents historiques à notre disposition, les photographies les plus célèbres nous montrent Lou en robe longue, souvent sombre, à col haut, parfois avec un ruban ou une broche en guise de parure. Ces choix stylisent une silhouette à la fois sobre et déterminée. Rien de tapageur dans son apparence, mais une constance dans l’effort de se libérer des contraintes en gardant une allure soignée.
Dans certaines lettres échangées avec Rainer Maria Rilke, elle évoque avec humour ses vêtements, souvent décrits comme « pratiques pour écrire des heures durant sans gêne », et ce besoin d’être « en paix dans son corps pour libérer l’esprit ». Un détail semble revenir : l'absence de corset, alors que cet accessoire était encore largement porté.
Cette tenue délibérément confortable nous fait penser aux tenues que portaient Edith Wharton pour travailler dans le silence de son manoir : fonctionnelles sans céder à l’austérité.
Un style vestimentaire reflet de son autonomie intellectuelle
Le style vestimentaire de Lou Andreas-Salomé n’était pas qu’un détail de sa vie quotidienne. À une époque où l’apparence des femmes était codifiée à l’extrême, elle a choisi de s’habiller comme bon lui semblait, posant ainsi les bases d’un acte intellectuel vestimentaire. Sa garde-robe semble avoir été constituée de robes simples, en tissus naturels, sans ornements superflus : lin, coton ou laine fine à la place de la soie ou du satin des femmes de son milieu.
On pourrait faire un parallèle avec l'attitude de Gertrude Stein, autre grande figure littéraire féminine qui a utilisé ses choix vestimentaires comme une déclaration de sa marginalité volontaire face aux normes établies.
Lou ne cherchait pas l’extravagance ; elle optait pour une neutralité active, presque stratégique : ses vêtements ne devaient ni la distraire, ni distraire les autres de son propos. Au fil des années, elle conserva ce style sans se plier aux dictats de la mode ni aux injonctions de l’âge.
Quand écrire exigeait une tenue pour penser librement
Le confort accordé à l’écriture était pour Lou Andreas-Salomé une nécessité. Il ne s’agissait pas uniquement de goûts esthétiques mais d’un véritable environnement de travail mental. Comme l’expliquait George Eliot dans ses notes, certains vêtements deviennent des « outils d’écriture », car ils conditionnent la posture, la température corporelle, le mouvement du bras ou encore la manière de respirer.
Lou, parfaitement lucide sur l’ambiance nécessaire à la réflexion, s’installait dans une pièce bien éclairée, en retrait, toujours en tenue sobre. Elle semblait appliquer à la lettre ce que George Eliot considérait comme fondamental : se débarrasser de toute contrainte physique pour donner la primauté à la pensée écrite.
Il ne s’agissait pas seulement de « se mettre à l’aise » : il s’agissait de créer un espace mental dans lequel la pensée pouvait circuler sans être rattrapée par les rôles imposés aux femmes — y compris celui, pesant, de séduire ou de paraître.
Le vêtement comme prolongement de la pensée critique
En définitive, la manière dont Lou Andreas-Salomé s’habillait pour écrire s’inscrit dans un mouvement plus vaste des femmes de lettres de son époque — de Virginia Woolf à Frida Kahlo — qui utilisaient leur rapport au corps et à leur image comme extension ou comme prolongement de leur pensée critique.
Le silence de ses robes sombres, la discrétion de ses accessoires, la sobriété de ses coupes sont autant d’indices d’une philosophie existentialiste avant l’heure : priorité à l’essence plutôt qu’à l’apparence. Dans ce sens, les vêtements de Lou traduisaient une volonté de neutralité, mais aussi d’émancipation.
Ce geste rejoint étonnamment celui de Frida Kahlo qui voyait dans ses vêtements un acte poétique au quotidien. Là où Frida exaltait les couleurs de son identité, Lou effaçait toute distraction pour garder la netteté de sa pensée intacte.
Que retenir pour nos garde-robes de lectrices et d’écrivaines aujourd’hui ?
Revisiter les choix vestimentaires de Lou Andreas-Salomé n’est pas une simple curiosité d’esthète. Cela pose une question plus profonde : dans quel vêtement pensons-nous le mieux ? Que portons-nous quand notre esprit doit vagabonder librement, écrire, lire, rêver ?
Se reconnecter à des habits qui ne nous contraignent pas mais nous accompagnent — tel serait l’enseignement des écrivaines-penseuses comme Lou. À l'heure où les vêtements peuvent à nouveau devenir des territoires d’expression littéraire, il n'est pas surprenant que de plus en plus de femmes réassument un style revendiqué, fonctionnel et poétique à la fois, dans leurs moments de lecture ou d’écriture.
À l’image d’Emily Brontë et de son bureau secret, les vêtements de Lou Andreas-Salomé sont autant d'indices sur la manière dont elle pensait, écrivait, vivait. Non comme des signes de frivolité, mais comme des extensions conscientes de soi. Une leçon plus actuelle que jamais.