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Quand Jean Rhys écrivait ses romans en pyjama de velours

Peu de figures littéraires incarnent aussi intensément le lien intime entre vie personnelle et création artistique que Jean Rhys. Romancière britannique aux origines dominicaines, Rhys est aujourd’hui largement reconnue pour son chef-d’œuvre Wide Sargasso Sea (1966), un prélude au Jane Eyre de Charlotte Brontë, bouleversant et impitoyable. Mais derrière cette œuvre intense se cache une femme douloureuse, réservée, et profondément marquée par l’errance et le sentiment d’exclusion. Une femme qui, selon plusieurs témoignages, écrivait souvent vêtue d’un pyjama de velours, dans un quotidien empreint de solitude et d’introspection.

Jean Rhys et le refuge du vêtement : une écriture en pyjama de velours

Il est tentant de réduire le pyjama de velours à une anecdote vestimentaire, mais dans le cas de Jean Rhys, il ne relève pas du simple confort. Ce choix vestimentaire révèle plutôt une manière d’habiter l’écriture, et d’ériger une muraille douce entre elle et le monde extérieur. Vivant souvent dans des chambres meublées à Londres, au bord de la précarité, Rhys menait une existence recluse, marginale, oscillant entre dépendances affectives et alcoolisme.

Selon ses biographes, notamment Carol Angier dans Jean Rhys: Life and Work, elle écrivait souvent durant les heures sombres du jour, en peignoir ou en pyjama, parfois sans se changer pendant plusieurs jours. Ce vêtement devenait alors une seconde peau, loin des conventions sociales, un cocon permettant à la romancière de s’immerger dans un espace mental propice à la narration. Cette manière de transformer un vêtement aussi simple en armure littéraire n'est pas sans rappeler le châle de Maya Angelou ou les pantoufles usées de Leonora Carrington, objets familiers aux pouvoirs créateurs insoupçonnés.

Créer dans la solitude : la chambre comme théâtre de l’intimité

Le pyjama de velours de Rhys ne se comprend pleinement que dans le contexte de sa relation à l’espace domestique. Elle a souvent vécu dans des pièces exiguës, parfois insalubres, rédigeant ses textes sur des feuilles volantes, posées sur des tables bancales ou des lits défaits. Dans ce décor austère, le vêtement devient l’unique élément de constance, une enveloppe soyeuse dans un quotidien chaotique. Ce n’est pas un hasard si tant de ses personnages – des femmes abandonnées, étrangères, en décalage – évoluent dans des chambres closes, entre névroses, attente et abandon.

Chez Rhys, l’écriture naît de la retraite, du silence auto-imposé. Dans une entrevue avec la BBC en 1970, elle confie à quel point elle redoute « les autres », combien le monde peut l’écraser. Rester en pyjama toute la journée chez elle est alors moins un signe de paresse qu’un acte quasi militant : refuser les normes sociales pour rester fidèle à sa voix intérieure. Une démarche pas si éloignée de celle d’Anna Akhmatova, qui écrivait en portant ses gants d’hiver malgré la chaleur estivale – un rituel de concentration, presque de survie.

Le confort comme catalyseur de création littéraire féminine

Le lien entre le confort du corps et la créativité de l’esprit est aujourd’hui largement étudié, notamment dans les milieux littéraires féminins. Des chercheuses comme Jane Marcus ont souligné l’importance des espaces d’écriture féminins comme des refuges mentaux autant que physiques. Dans le cas de Jean Rhys, la douceur du pyjama de velours est une condition de possibilité de la création : elle permet d’écrire malgré les troubles émotionnels, de dépasser l’angoisse et l’errance. Il n’est alors plus un simple vêtement, mais un outil littéraire indirect.

Rhys venait d’un monde colonial – la Dominique – et a toujours vécu en étrangère, même en Angleterre. Le vêtement, lorsque choisi pour soi et non imposé, redonne une forme d’identité. Ses pyjamas ne sont pas une preuve de désengagement mais de réengagement envers son propre récit. Et ce n’est pas un hasard si c’est précisément dans sa plus grande solitude, recluse à Devon dans les années 50 et 60, qu’elle écrit Wide Sargasso Sea, son chef-d’œuvre tardif, fruit de décennies d’errances et de silences, entièrement composé dans cette bulle intérieure qu’elle avait façonné – parfois en robe de chambre, parfois en pyjama velouté.

Des héroïnes à l’image de leur créatrice : vulnérables mais lucides

Il est impossible de parler des conditions d’écriture de Jean Rhys sans évoquer ses héroïnes – Sasha dans Good Morning, Midnight, Anna dans Voyage in the Dark, Julia dans After Leaving Mr. Mackenzie. Toutes sont des femmes à la dérive, souvent vêtues de tenues froissées, de robes passées de mode, figures de non-conformisme et de douloureuse lucidité. Ces portraits de femmes brisées sont l’extension directe de son expérience – et de son vêtement fétiche, détail symbolique d’une personnalité farouchement non-alignée.

Comme Claribel Alegría qui s’imprégnait de musique ancienne pour écrire, Jean Rhys avait besoin de recréer une atmosphère spécifique, à la fois sensorielle et émotionnelle. Son pyjama, qu’on imagine pesant, doux, chaud, récréait une carapace face au dehors souvent hostile. Cette manière de « s’installer » dans l’écriture révèle une vérité peu dite : l’intimité du corps est indissociable de l’acte de création.

Quand le vêtement devient mémoire littéraire

Aujourd’hui, plusieurs archives et documents biographiques font état de l’univers domestique de Jean Rhys – des photographies montrant son appartement, ses lettres évoquant des difficultés financières, ses tentatives de se faire publier ou de simplement survivre. Ces témoignages permettent de mieux comprendre à quel point ses récits étaient ancrés dans le quotidien brut, sans fard. Il ne s’agissait pas de créer depuis un piédestal, mais bien depuis le sol – au sens propre comme au figuré.

Son pyjama de velours figure désormais dans la mémoire collective littéraire comme un symbole paradoxal : celui d’un luxe doux dans une vie souvent rude ; celui d’un confort nécessaire à une créativité exigeante. Il rejoint ainsi ces autres objets d’écrivaines transmises par la culture, comme le château secret de Daphné du Maurier ou les manuscrits griffonnés à la hâte de Sylvia Plath. Tous témoignent d’un lien vital entre environnement physique, vêtement, et imaginaire créatif.

Et si nous regardions désormais nos tenues d'intérieur non plus comme une simple commodité, mais comme le décor silencieux d’une œuvre en train de naître ? Jean Rhys, en tout cas, semble nous inviter à le faire.

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