Carson McCullers, auteure américaine emblématique du XXe siècle, est connue pour ses romans mélancoliques et profonds comme Le cœur est un chasseur solitaire ou Frankie Addams. Moins connu que son œuvre littéraire mais tout aussi révélateur de sa sensibilité : son rituel d’écriture, pratiqué dans une robe de chambre, assise face à son miroir. À travers ce geste rituel, Carson McCullers tissait un lien intime entre sa pratique d’écriture, son corps et sa conscience. Ce détail en dit long sur les conditions dans lesquelles émergent les grandes œuvres littéraires et offre une inspiration précieuse à toutes celles qui cherchent à faire cohabiter écriture, intimité et style personnel.
Carson McCullers : une figure majeure de la littérature du Sud des États-Unis
Née en 1917 en Géorgie, Carson McCullers fait partie de cette génération d’écrivains du Sud des États-Unis marqués par les contrastes du Vieux Sud : pauvreté, ségrégation, solitude. Très jeune, elle se passionne pour la musique et la littérature. Atteinte de plusieurs maladies chroniques au cours de sa vie – dont des accidents vasculaires cérébraux dès ses 20 ans – elle développe une sensibilité aiguë au silence, à la marginalité, à la corporalité, que l’on retrouve dans ses personnages singuliers et profondément humains.
Mais ce que l’on sait moins, c’est que McCullers écrivait souvent en robe de chambre, assise devant un miroir. Ce rituel n'était pas un caprice d’artiste : elle considérait cela comme une manière de se connecter à son moi intérieur, d’observer son visage comme on observerait un personnage, en quête de vérité. Ce geste nous ouvre une porte sur la manière dont une autorité littéraire conquiert son espace d’écriture à la fois physique et mental.
Le miroir comme outil de création littéraire et d’introspection
L’usage du miroir dans la pratique d’écriture de Carson McCullers n’a rien de purement esthétique. Il devient instrument de réflexion – au sens littéral et symbolique. Dans sa correspondance, elle évoque souvent ces longues heures passées à s’écrire à soi-même, sous le regard implacable de son propre reflet. Être face à soi, dans une tenue nocturne, presque vulnérable, c’est aussi inscrire l’acte d’écrire dans la continuité du soi intime.
Pour les femmes écrivaines, qui historiquement ont souvent dû se battre pour obtenir une chambre à soi – pour reprendre les mots de Virginia Woolf – le miroir, la robe de chambre, le corps au repos deviennent alors des alliés dans cette bataille silencieuse pour une parole authentique. Il est d’ailleurs intéressant d’observer comment d’autres autrices ont aussi fait de leur quotidien l'écrin favori de leur plume. Vous pouvez lire à cet égard comment Cristina Campo alliait élégance et profondeur dans ses écrits ou encore ce que Marguerite Yourcenar utilisait pour se mettre en condition créative.
Le vêtement comme prolongement du geste d’écriture
La robe de chambre portée par Carson McCullers pendant l’écriture n’était pas qu’un vêtement de détente. Elle représentait une survivance de l’intériorité, une manière d’exprimer corporellement la transition entre le temps social et le temps créateur. Dans ce vêtement flou, souvent associé à l’univers domestique et féminin, McCullers trouvait une forme de liberté.
Ce lien entre style personnel et créativité est un thème récurrent dans la vie de nombreuses femmes écrivaines. Ninon de Lenclos, par exemple, utilisait une garde-robe provocante pour renforcer sa posture de femme libre et érudite à une époque où cela lui était refusé. McCullers, plus introvertie, utilisait la simplicité d’un peignoir pour créer un espace hors du monde, propice à la fiction.
Pourquoi ces détails de rituels inspirent encore les lectrices aujourd’hui
On pourrait croire que ces habitudes d’écrivaines font partie de ces anecdotes un peu désuètes, sans utilité véritable. Mais en réalité, elles nous touchent au cœur de nos pratiques quotidiennes. Beaucoup de lectrices – peut-être vous qui lisez ces lignes – cherchent à créer un espace pour leur passion. Entre deux obligations, au milieu du tumulte du quotidien, comment écrire ? Comment lire avec intention ? Le fait de savoir que Carson écrivait en robe de chambre face à un miroir donne matière à réflexion.
Créer une routine, adopter un vêtement pour lire ou écrire, n’est pas un acte futile. C’est une manière de ritualiser une pratique qui nous relie à une part essentielle de nous-mêmes. Porter une pièce dédiée à l’immersion littéraire, afficher un style qui dialogue avec notre intériorité, c’est prolonger ces gestes d’écrivaines qui ont marqué l’Histoire par leur regard sensible et alternatif.
À ce sujet, on pourra également s’inspirer d’autrices comme George Sand, alias Amantine Dupin, qui allait jusqu’à se déguiser pour écrire loin du regard des autres, ou de l’univers secret d’Isak Dinesen et de sa boîte à trésors littéraire.
Ce que Carson McCullers continue de nous transmettre
Écrire face à un miroir n’était pas pour Carson un signe de narcissisme, mais une manière de faire face à son altérité pour mieux pénétrer celle de ses personnages. C’était une forme de veille, une présence à soi, que peu osent expérimenter aujourd’hui, dans un monde qui nous pousse à accélérer nos gestes, à produire sans regarder.
Son exemple nous rappelle que l’écriture, comme la lecture, demande de l’attention, du soin, du temps. Elle demande de nous vêtir non pas pour paraître mais pour entrer dans l’écoute – écoute de soi, des autres, du monde. La robe de chambre, le miroir, l’attente lente face à la page blanche deviennent alors des gestes de résistance, poétiques et puissants.
Carson McCullers n’est pas un modèle à imiter mais une figure à contempler, pour se demander avec honnêteté : quelles sont les conditions qui font naître ma propre voix ?