Le roman Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre, prix Goncourt 2013, a profondément marqué le paysage littéraire français. Son adaptation cinématographique par Albert Dupontel en 2017 a, à son tour, secoué les spectateurs par sa puissance visuelle et sa fidélité émotionnelle. Nombreuses sont les lectrices qui, une fois le livre refermé, hésitent à voir le film de peur de trahir leur imaginaire. Pourtant, regarder Au revoir là-haut après avoir lu le roman est une démarche enrichissante. Voici pourquoi.
Le film Au revoir là-haut : une adaptation cinématographique respectueuse du roman
Albert Dupontel signe avec Au revoir là-haut un film d’une grande fidélité, aussi bien narrative que thématique, au roman de Pierre Lemaitre. Si certaines scènes sont condensées ou transformées pour les besoins du format cinématographique, l’essentiel du propos demeure intact : la dénonciation de l’absurdité de la guerre, le cynisme des survivants en quête de profit, et la grandeur créatrice de ceux qui refusent de sombrer.
Pour les lectrices qui cherchent une adaptation fidèle à l’esprit du texte, la version de Dupontel est une réussite. Tout comme Le Parfum de Tom Tykwer, qui tente de rendre tangible l’intangible, le film Au revoir là-haut ose traduire l’émotion forte du texte en images, en couleurs et en regards. C’est un complément, pas un substitut.
Approfondir la compréhension du roman grâce à l’image
Lire Au revoir là-haut permet de plonger dans la psyché torturée et créative d’Édouard Péricourt. Le roman offre une richesse intérieure que seuls les mots permettent. Mais voir le film ensuite donne une tout autre dimension à cette immersion. Grâce à la performance de Nahuel Pérez Biscayart, le personnage d’Édouard prend forme au-delà des mots. Ses masques faits main, ses silences expressifs, sa gestuelle hésitante deviennent de puissantes incarnations visuelles que le livre ne pouvait qu’évoquer.
Le film donne aussi une consistance émotionnelle aux décors, aux costumes, à l’ambiance d’une France post-Première Guerre mondiale sombrée dans le chaos. Si vous avez aimé rêver avec une reconstitution historique via un roman, comme beaucoup de lectrices de Les Misérables, alors Au revoir là-haut au cinéma vous permettra de mieux ancrer vos repères dans la réalité visuelle que seule la mise en scène peut offrir.
Redécouvrir l’émotion par un autre sens : le pouvoir de la mise en scène
La lecture est un acte intérieur. L’image, elle, touche différemment : elle frappe, elle bouscule, elle fige. Là où Pierre Lemaitre use de l’ironie dans un style acéré, Albert Dupontel choisit une esthétique baroque et colorée. Ce choix inattendu offre une nouvelle lecture du même matériau. La douleur est exprimée par la saturation des couleurs, l’absurde par des cadrages audacieux, et la tendresse par des silences appuyés.
Cela fait écho à d’autres œuvres où le cinéma crée une nouvelle forme de poésie, comme souligné dans notre article sur Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Le film devient alors non pas un miroir du livre, mais une œuvre parallèle qui déploie son propre charme, tout en éclairant différemment le propos initial.
Une manière de prolonger l’expérience littéraire
Le plaisir de lecture ne s’éteint pas avec la dernière page. Ce moment de suspension que l’on ressent en quittant un personnage fort peut être adouci, nourri, par une continuité visuelle. Voir Au revoir là-haut après avoir lu le roman, c’est aussi accepter de revenir dans cet univers familier mais autrement exploré.
Pour certaines lectrices, cette approche prolonge le plaisir, voire en crée un nouveau. Elle permet aussi, souvent, de mieux saisir les motifs récurrents, les symboles, les échos − comme les masques d’Édouard ou les trahisons successives − qui, dans le film, prennent une force plastique étonnante. Cette démarche, on la retrouve aussi dans Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, où l’impact du récit est renforcé par une image sobre et puissante.
Découvrir ou redécouvrir le rôle de la création artistique
Au revoir là-haut, tant dans le roman que dans son adaptation, montre à quel point l’art peut être un outil de survie. Édouard Péricourt, gravement blessé, perd la voix et gagne une nouvelle forme d’expression : la création de masques. Ces œuvres, à mi-chemin entre le maquillage de carnaval et la tragédie antique, résument à elles seules ce que signifie « continuer à vivre » après l’horreur.
Le film rend tangible cet aspect de la création artistique, en mettant en valeur les œuvres d’Édouard avec une mise en scène presque muséale. Pour celles d’entre nous qui aiment la poésie visuelle, cela pose une question intrigante : que peut le cinéma pour rendre l’art concret ? C’est le même type de questionnement qu’on retrouve dans l'article sur L’Ombre du vent.
Conclusion : Lire, puis voir, pour éclairer ce chef-d’œuvre sous toutes ses facettes
Le roman de Pierre Lemaitre est dense, bouleversant et souvent cruel. Le film d’Albert Dupontel n’est pas en reste ; il l’est aussi, à sa manière. Voir le film après avoir lu le livre n’est pas une trahison du texte, mais un hommage à son pouvoir d’évocation. C’est donner à son imaginaire une nouvelle langue, une nouvelle forme. Pour les lectrices amoureuses des mots, c’est aussi s’autoriser à aimer les images, quand elles sont au service du récit et de l’émotion.
Alors, si vous venez de fermer Au revoir là-haut les larmes aux yeux et le cœur serré, prenez le temps. Mais n’hésitez pas. Voir le film, c’est regarder une seconde fois la même étoile, d’un autre angle, à une autre heure… mais avec la même lumière.