Quand on pense à Agatha Christie, ce sont immédiatement les noms de Hercule Poirot ou de Miss Marple qui nous viennent à l'esprit, avec leurs enquêtes méticuleuses et leurs multiples rebondissements. On imagine difficilement que ces intrigues, destinées à devenir des classiques mondiaux de la littérature policière, aient pu être conçues... depuis une baignoire. Pourtant, c'est bien l'un des endroits où la « Reine du crime » aimait écrire — ou du moins, rêver ses intrigues.

Agatha Christie et ses habitudes d'écriture peu conventionnelles

Agatha Christie n’a jamais suivi les règles, ni dans ses récits ni dans ses habitudes d’écriture. Si certains écrivains adoptent des routines rigides, Christie préférait une certaine fluidité qui épousait son mode de vie. Dans son autobiographie, elle raconte avec simplicité ses sessions d’écriture entre deux tasses de thé, sur une table de cuisine ou même sur un coin de bureau improvisé. Mais ce sont surtout ses bains prolongés – qu'elle adorait – qui ont intrigé plus d’un biographe.

Elle confie ainsi apprécier ces longs moments passés dans l’eau chaude, souvent avec une pomme à portée de main, pour réfléchir à ses intrigues. Si elle n’y écrivait pas toujours physiquement, elle y développait ses idées, résolvait des énigmes, ou peaufinait les plans machiavéliques de ses personnages.

Pourquoi la baignoire favorise-t-elle la créativité littéraire ?

Si Agatha Christie puisait son inspiration dans la baignoire, ce n’est peut-être pas un hasard. Des recherches modernes en neurosciences confirment que les idées créatives émergent souvent lorsque nous accomplissons des activités peu exigeantes mentalement tout en étant détendus. La douche ou le bain sont souvent cités comme des moments propices à l’émergence de solutions inattendues.

Dans un état de semi-conscience ou de « rêverie éveillée », le cerveau laisse libre cours à l’association d’idées. Agatha Christie l’avait compris intuitivement. Comme Emily Dickinson qui restait confinée dans sa maison, Christie trouvait dans un espace restreint un monde intérieur riche et fertile.

Un environnement propice : entre solitude et confort

La baignoire représentait pour Christie un refuge. Loin des sollicitations familiales ou professionnelles, elle y trouvait un cocon de paix — souvent essentiel pour toute personne appelée à créer. Cette recherche de solitude créative n'est pas sans rappeler l’habitude de Colette d’écrire entourée de ses animaux, mais aussi enfermée dans un espace très personnel.

Pour Christie, ce n'était pas seulement une question de confort physique. Le bain devenait un espace mental. L’absence de stimuli extérieurs – pas de téléphone, pas d’obligations immédiates – la plaçait dans un état de concentration quasi-méditatif. C’est dans ce calme sensoriel qu’elle trouvait la liberté de ruminer, défaire et refaire les complexités de son intrigue.

Des rituels créatifs propres à chaque autrice

Comme de nombreuses femmes de lettres, Agatha Christie avait mis en place des mécanismes de protection pour s’aménager du temps et de l’espace mental consacrés à l’écriture. Ce besoin de rituels ou d’environnements personnels pour créer traverse les siècles et les styles. Le rituel matinal de Simone de Beauvoir nous rappelle combien une routine même minimaliste peut favoriser la régularité d’un engagement littéraire.

Ce que Christie partage avec ces femmes illustres, c’est cette capacité à transformer un lieu banal – une baignoire, un coin de table – en espace sacré de création. C’est aussi une leçon importante pour celles qui lisent ou écrivent aujourd’hui : la créativité ne demande pas de conditions idéales, mais de conditions à soi.

L’impact de cet entre-soi sur la structure si précise de ses intrigues

Lorsque l’on lit les romans d’Agatha Christie, on est souvent frappé par la finesse de la construction : tous les éléments sont en place, le mobile, les indices, les fausses pistes, chaque mot est choisi avec soin. On pourrait croire que tout cela résulte d’un plan rigide élaboré à un bureau. Pourtant, nombre de ces plans sont nés dans la vapeur d’un bain.

Selon des témoignages de sa fille Rosalind, et de James Prichard, son petit-fils et président de Agatha Christie Limited, l'autrice notait ses idées partout : dans des cahiers bien sûr, mais aussi sur des enveloppes, des brouillons, tout ce qui lui tombait sous la main. Mais le schéma initial, le cœur de l’intrigue, venait souvent d’un moment d’inspiration « au calme », souvent précisément dans cette baignoire devenue mythique.

Les bénéfices insoupçonnés d’associer détente et création

Agatha Christie nous enseigne quelque chose de fondamental : il n’y a pas de bonne manière d’écrire. Pour elle, réfléchir dans la baignoire n’était ni paresseux ni secondaire. C’était un acte premier, aussi essentiel que d’écrire la première ligne sur la page.

Elle n’était pas seule à penser ainsi. Virginia Woolf avait besoin d’un bureau taillé selon sa propre hauteur et installé dans une pièce à elle. George Sand écrivait la nuit, nourrie par une énergie crépusculaire, comme en témoignent ses lettres intimes.

Ainsi, la baignoire d'Agatha Christie, bien plus qu’un détail anecdotique, révèle une vérité profonde sur la création artistique : chacun doit trouver son propre lieu, son propre moment, son propre état d’esprit pour donner vie à ce qui sommeille en lui.

Et vous, où se cache votre espace créatif ?

Peut-être n’écrirez-vous pas depuis une baignoire (encore que…), mais cet exemple nous pousse à réfléchir : quel est votre espace propice à l’imaginaire ? Où lisez-vous avec le plus de plaisir ? Dans quel lieu votre esprit se laisse-t-il aller sans résistance ? Toutes les lectrices portent en elles un bout de cette magie quotidienne, un endroit secret où les mots prennent forme ou s’impriment plus profondément. Que ce soit sur un divan moelleux, dans un train en mouvement, ou bien dans le silence d’une pièce aimée, ces lieux sont précieuses enclaves de soi.