La littérature indienne constitue un univers profond, multiple, marqué par la richesse des langues, des traditions et des trajectoires humaines qui l’habitent. Qu’elle s’exprime en hindi, en bengali, en ourdou, en tamoul ou en anglais, elle renouvelle sans cesse la manière de dire l’intime, le politique, le sacré et le quotidien. Cet article vous propose une sélection de 10 livres significatifs pour toute lectrice désirant explorer les multiples visages de l’Inde à travers ses écrivain·es, du classement colonial jusqu’aux réalités contemporaines.
1. "Le Dieu des Petits Riens" d'Arundhati Roy : l’Intime au cœur du Kerala
Publié en 1997, ce roman lauréat du Booker Prize est un incontournable. Arundhati Roy y explore avec une grande sensibilité les fractures sociales et la complexité des liens familiaux. Sur fond de caste, de politique et d'interdits amoureux, elle ancre son récit dans le Kerala, tissant les destins d'Estha et Rahel, deux jumeaux séparés par la tragédie. La force émotionnelle du style, la justesse des perceptions d'enfants face aux injustices, en font un texte majeur pour découvrir la littérature indienne contemporaine.
2. "Une affaire de famille" de Rohinton Mistry : Bombay en toile de fond
À travers le quotidien d'une famille parsi, Rohinton Mistry porte un regard riche et profondément humain sur les fragilités économiques et sociales de l'Inde urbaine des années 1990. Le personnage de Nariman, ancien professeur de littérature, incarne les tensions entre tradition et modernité. Ce livre est un cousin thématique de certaines œuvres du Moyen-Orient par sa finesse psychologique et son exploration des liens intergénérationnels.
3. "Train pour le Pakistan" de Khushwant Singh : mémoire de la Partition
Ce roman paru en 1956 est essentiel pour comprendre l’un des épisodes les plus tragiques de l’histoire récente de l’Inde : la Partition avec le Pakistan en 1947. Khushwant Singh donne chair et voix à un village du Pendjab pris dans le chaos de la séparation. La violence, la perte et la résistance face au fanatisme y sont décrites avec une grande retenue littéraire. Un texte frontal, historique, vécu.
4. "Le Tigre blanc" d’Aravind Adiga : satire de l'Inde néo-libérale
Ce roman lauréat du Booker Prize en 2008 prend le contrepied des représentations idéalisées de l’Inde en mettant en scène Balram Halwai, chauffeur d’un entrepreneur riche, narrateur cynique et provocateur. Adiga y dépeint une société hyper-stratifiée, corrompue, où la survie impose de transgresser. Puissant et dérangeant, "Le Tigre blanc" fait écho à la littérature urbaine globale que l’on retrouve dans la littérature asiatique contemporaine.
5. "Clairvoyant(e)" d’Anosh Irani : Bombay, genre et marginalité
Ce roman immersif suit Chamdi, un enfant des rues, et plus tard, la communauté Hijra (personnes intersexes ou transgenres en Inde). Par une plongée dans les marges de Bombay, Anosh Irani donne voix aux oubliés de la croissance indienne. Ce roman est aussi une occasion d’explorer la complexité des identités de genre en Inde, souvent invisibilisées dans les médias occidentaux.
6. "La Maison et le Monde" de Rabindranath Tagore : nationalisme et émancipation féminine
Publié en 1916, ce roman écrit en bengali par le prix Nobel Tagore est une œuvre charnière. Il décrit le tiraillement entre l’Inde traditionnelle et les ferments du nationalisme moderne, tout en donnant une place centrale au destin d’une femme, Bimala. Entre amour, devoir, et questionnements politiques, le récit explore aussi la question de l’indépendance indienne à venir. Une lecture précieuse pour les amatrices de classique, à rapprocher de la littérature chinoise ancienne pour son rôle dans les débats politiques de son temps.
7. "Les Enfants de minuit" de Salman Rushdie : entre mythe et Histoire
L'un des romans les plus célèbres du XXᵉ siècle indien, "Les Enfants de minuit" (1981), fusionne réalisme magique, histoire post-coloniale et chronique familiale. Le narrateur, Saleem Sinai, naît à minuit le jour de l’indépendance, et son destin semble lié à celui de la nation naissante. Ce roman témoigne de la capacité de la littérature indienne à mêler le politique et l’ésotérique pour questionner les récits nationaux.
8. "La chambre noire de Damoclès" d’Anita Nair : polar et condition féminine
Anita Nair, figure forte de la littérature indienne contemporaine, détourne ici les codes du roman noir pour évoquer, avec sensibilité et tension narrative, les abus faits aux femmes. L’enquête policière se double d’une réflexion sur la culpabilité, le silence et la résilience féminine. C’est une œuvre profonde, dans la continuité d’autrices qui bousculent les récits dominants, à l’image de certaines plumes sud-américaines comme celles présentées dans cet article.
9. "Shantaram" de Gregory David Roberts : Bombay dans l’œil d’un exilé
Bien que l’auteur soit australien, "Shantaram" s’inscrit dans le contexte indien de manière si dense que le roman est souvent classé parmi les œuvres essentielles pour découvrir la réalité bigarrée de Bombay. Inspiré d’une histoire vraie, le livre mêle mafia, spiritualité, ashrams et humanité. Une autre manière de découvrir l’Inde à travers le regard de l’étranger immergé, comme dans certains romans de l'Océanie.
10. "Le Ministère du Bonheur Suprême" d’Arundhati Roy : retour en fiction
Vingt ans après "Le Dieu des Petits Riens", Arundhati Roy revient au roman avec une fresque politique et poétique. Elle y mêle les voix d’un large éventail de personnages – minorités religieuses, femmes, enfants abandonnés, militants – pour composer une Inde plurielle et blessée. Un roman dense, presque kaléidoscopique, qui met en lumière les contradictions de la société indienne contemporaine.
Pourquoi lire la littérature indienne aujourd’hui ?
Lire les écrivain·es indiens permet de prendre la mesure d’une culture vibrante au croisement des mythes fondateurs et des questionnements très contemporains : caste, genre, nationalisme, développement… À travers ces dix livres, ce sont autant de récits de vie, de conflits et d’espoirs qui se donnent à lire.
Cette diversité linguistique et thématique fait écho à d'autres formes de littératures dites "du Sud Global", comme celle de l'Asie, du Moyen-Orient ou de l’Amérique latine. Dans toutes, les femmes lisent, écrivent, et redessinent les contours des représentations dominantes.
Et vous, laquelle de ces voix vous appelle ?