Publié en 2002, Middlesex de Jeffrey Eugenides s’est imposé comme un roman marquant de la littérature contemporaine. Lauréat du prix Pulitzer de la fiction en 2003, ce récit inclassable mêle fresque familiale, chronique sociétale et exploration de l’identité de genre. Mais au-delà de son succès littéraire, Middlesex est un roman qui se prête naturellement à une adaptation cinématographique. Complexe, bouleversant et profondément humain, il possède tous les ingrédients d’un film poignant.
Une fresque intergénérationnelle propice à une narration cinématographique
Middlesex retrace trois générations d’histoire familiale, depuis les villages de l’Asie mineure jusqu’aux rues de Detroit. À travers le destin des Stephanides, Jeffrey Eugenides déroule un récit vaste et ambitieux, offrant plusieurs strates de narration qui peuvent être visuellement traduites de manière fluide sur grand écran.
Cette structure familiale multi-niveaux, semblable à celle qu’on retrouve dans certains films comme Little Miss Sunshine ou Call Me by Your Name dans leur traitement intime de la filiation, invite à une adaptation où chaque génération pourrait être représentée avec une temporalité propre. À l’écran, cette alternance entre passé et présent, entre Grèce ottomane et Amérique industrielle, permettrait un ancrage historique fort et une richesse visuelle certaine.
Ce modèle d’adaptation a déjà fait ses preuves. Par exemple, le film Room a su retranscrire toute la densité émotionnelle du roman éponyme, en restant fidèle à l’intimité du texte initial, tout en introduisant une narration très visuelle propre au cinéma.
Un personnage principal fascinant : Cal, ou la quête de soi filmée
Le cœur de Middlesex repose sur Cal Stephanides, né Calliope, une personne intersexe élevée comme une fille jusqu’à sa puberté. Cet aspect de l’histoire, traité à travers une narration à la première personne rétrospective, rendrait particulièrement bien à l’écran si l’on imagine une adaptation qui ferait appel à la voix off du personnage adulte naviguant à travers ses souvenirs.
Cette quête profonde d’identité dans une société binaire et normative ferait écho à d’autres récits poignants déjà portés à l’écran, comme The Danish Girl ou Boys Don’t Cry. Mais ce qui distingue Cal, c’est que son histoire ne se réduit pas à sa transition ou à son genre : elle est aussi celle d’un être humain qui grandit, aime, doute, apprend. Son traitement par Eugenides est empreint de respect, de nuance et d’une profonde humanité. Une telle richesse psychologique est une véritable aubaine pour un·e scénariste et un·e acteur·rice, comme cela a été le cas pour l’adaptation de Entretien avec un vampire, porté par des performances magistrales et une intensité dramatique rare.
Des thématiques fortes et actuelles pour toucher un large public
Une adaptation cinématographique de Middlesex serait aussi l’occasion de porter à l’écran des thématiques essentielles encore trop peu explorées de manière nuancée dans le grand public : l’intersexuation, les normes de genre, l’identité, la transmission familiale, l’immigration, la transformation du rêve américain.
Dans une époque où les représentations LGBTQIA+ au cinéma cherchent plus de justesse et de diversité, Middlesex apporterait un récit honnête, sensible et profondément personnel sans jamais tomber dans la caricature. Jeffrey Eugenides évite l’exotisation ou la victimisation de son personnage ; il donne à voir un être humain complet, dans ses forces et ses failles. Adapter ce roman, c’est faire œuvre de pédagogie autant que d’empathie.
D’autres films ont su récemment capter avec finesse des thématiques sociales sensibles, comme Vers la beauté, adaptation envisagée du roman de David Foenkinos, centrée sur la dépression masculine et la résilience. Middlesex pourrait évoluer dans cette même veine de profondeur psychologique et de sensibilité.
Une structure narrative adaptée au langage du cinéma
Le roman est construit de manière non linéaire, alternant entre l’histoire familiale et l’introspection de Cal. Cette écriture fluide ouvre la porte à un format de film éclaté, qui pourrait jouer sur les époques, les points de vue et les styles narratifs. Un réalisateur ou une réalisatrice audacieux·se pourrait ainsi s’inspirer de films comme Moonlight, où l’histoire du personnage principal est racontée en trois temps, ou encore de The Tree of Life pour son entrelacement de l’intime et du cosmique.
Jeffrey Eugenides, lui-même diplômé de Yale et passionné de cinéma, a déjà vu son premier roman Virgin Suicides adapté avec brio par Sofia Coppola. Il n’est donc pas étranger aux langages visuels et à la puissance émotionnelle d’une mise en image. Avec Middlesex, cette adaptation pourrait être encore plus ambitieuse et novatrice.
Un potentiel visuel et esthétique riche et pluriel
D’un point de vue purement cinématographique, Middlesex regorge de moments forts propices à une mise en scène marquante. De la fuite des grands-parents en Grèce, en passant par les émeutes de Detroit des années 60, jusqu’aux paysages intérieurs de Cal en quête de réponses, chaque chapitre du livre invite à une exploration visuelle singulière.
Ajoutons à cela la possibilité de jouer avec les symboles : l’hermaphrodisme, la double appartenance, la métamorphose. Un·e cinéaste pourrait faire de ce roman une œuvre poétique, sensorielle, dont la mise en scène marierait réalisme cru et onirisme subtil, à la manière de ce que l’on a vu dans Les souvenirs de Marnie.
Conclusion : l’urgence d’une adaptation qui résonne avec notre époque
Vingt ans après sa parution, Middlesex n’a rien perdu de sa pertinence. Bien au contraire, dans un monde où la question du genre et de l’identité devient un enjeu central du débat public, ce roman pourrait offrir au cinéma un récit intime, universel et nécessaire. Il s’agit là d’une voix rare et précieuse à porter à l’écran, pour faire évoluer notre regard collectif.
Adapter Middlesex, c’est donc bien plus que transposer un livre à l’image. C’est offrir à un large public la possibilité de rencontrer une histoire profondément humaine, portée par un personnage lumineux, dans toute sa complexité. C’est aussi prendre part, par l’art, à une conversation essentielle sur qui nous sommes et comment nous nous construisons.
À l’image de grands romans parfois perçus comme inadaptables mais devenus des classiques du cinéma (pensons à Shantaram, récemment porté à l’écran), Middlesex mérite sa chance. Le moment semble venu de transformer ce chef-d’œuvre littéraire en film marquant de notre époque.