Pourquoi lisons-nous ? Pour nous distraire, pour apprendre, pour voyager par l’esprit... mais aussi, peut-être surtout, pour mieux comprendre qui nous sommes. De tous les courants philosophiques et littéraires, l’existentialisme est celui qui aborde le plus frontalement cette quête de sens. « L’existence précède l’essence », disait Jean-Paul Sartre. Cette phrase résume un bouleversement radical : l’homme n’a pas de nature prédéfinie, il devient ce qu’il choisit d’être. En littérature, cette prise de conscience donne naissance à des récits puissants, confrontant les personnages – et leurs lecteurs – à l'absurde, à la liberté, à l’angoisse, à la responsabilité.
Qu'est-ce que l'existentialisme en littérature ?
L’existentialisme, avant d’être un courant littéraire, est un courant philosophique qui a pris son essor en Europe au XXe siècle, principalement à travers les travaux de Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir et Albert Camus. Il part d’une idée essentielle : nous sommes jetés dans le monde sans raison et devons choisir, par nos actions, ce que nous devenons. En littérature, cela se traduit par des personnages en proie à des dilemmes fondamentaux, souvent plongés dans des situations absurdes ou extrêmes.
Contrairement à le classicisme, qui célèbre l’ordre et la raison, ou le baroque qui joue avec l’émotion et l’illusion, l’existentialisme creuse l’expérience humaine de manière brute et sincère. Les récits existentialistes sont souvent minimalistes, focalisés sur des choix cruciaux, débarrassés d'artifices, pour mieux mettre en scène l’homme face à lui-même.
Jean-Paul Sartre et le roman de la liberté
Jean-Paul Sartre est sans conteste la figure emblématique de l'existentialisme. Dans son roman La Nausée (1938), son personnage principal, Antoine Roquentin, éprouve une sensation de malaise existentiel en prenant conscience de l’absurdité du monde qui l’entoure. Ce sentiment qui donne son titre à l’œuvre traduit l’éveil à la pure existence, à son poids brut et dénué de signification préétablie. Roquentin découvre que rien n’a de sens, sauf celui que lui-même pourra lui donner par ses choix.
Sartre illustrera cela encore plus radicalement dans ses pièces de théâtre, comme Huis Clos (1944), où trois personnages se retrouvent enfermés dans une pièce pour l’éternité. La célèbre formule « L’enfer, c’est les autres » ne résume pas seulement une irritation sociale : elle révèle surtout que notre identité se construit toujours aussi à travers le regard de l’autre, et que cette relation est source d’angoisse autant que d’engagement.
Albert Camus : l’absurde comme point de départ
Albert Camus partage avec Sartre de nombreuses bases philosophiques, mais il se distingue par son approche résolument tragique. Chez lui, l’absurde naît du décalage entre le besoin de sens de l’homme et l’indifférence d’un monde qui n’en offre aucun. Dans L'Étranger (1942), Meursault refuse de jouer le jeu de l’hypocrisie sociale et est condamné davantage pour son mépris des conventions que pour son crime. Son indifférence apparente cache une posture existentielle : il ne ment pas sur les sentiments qu’il n’a pas.
Dans Le Mythe de Sisyphe (1942), essai fondamental pour comprendre sa pensée, Camus reprend le mythe antique de Sisyphe, condamné à rouler une pierre éternellement en haut d’une colline. Au lieu de se résigner, Camus écrit : « Il faut imaginer Sisyphe heureux ». En choisissant librement de continuer malgré l’absurde, Sisyphe incarne une forme de rébellion lucide et digne.
Simone de Beauvoir : vivre avec et pour les autres
Moins souvent citée que Sartre et Camus quand on évoque l'existentialisme littéraire, Simone de Beauvoir en est pourtant une figure fondatrice. Dans Le Deuxième Sexe (1949), elle applique les outils de l’existentialisme à la condition féminine avec une lucidité redoutable. « On ne naît pas femme, on le devient », écrit-elle, affirmant que la féminité est une construction sociale, non une essence. Il s'agit d’un exemple clair de l'idée existentialiste selon laquelle l’être humain est défini non par sa nature, mais par son existence et ses actes.
Dans ses romans, comme Les Mandarins (1954), elle analyse avec justesse les conflits intérieurs de personnages intellectuels tentés par l’engagement politique, pris entre désir de liberté individuelle et responsabilité collective. Le roman devient un laboratoire existentiel où s’éprouvent les tensions entre être-soi et être-avec-les-autres.
Lire l'existentialisme pour mieux se connaître
Lire des romans ou des essais existentialistes peut profondément marquer. Ces textes ne proposent pas des réponses toutes faites, mais des interrogations fécondes. Ils confrontent le lecteur à ses propres choix, à la liberté qu’il a souvent peur de prendre, et à cette responsabilité d’« inventer » sa propre vie.
Ce type de lecture est particulièrement adapté à celles – et ceux – qui recherchent une littérature exigeante, connectée à l’expérience humaine la plus intime. C’est une démarche très éloignée de la lecture de loisir. Plonger dans La Nausée, L'Étranger ou Les Mandarins demande une forme de courage intellectuel, mais le retour est d’une richesse incomparable : une meilleure connaissance de soi, un regard plus profond sur les autres et le monde.
Tout comme les philosophes des Lumières lisaient pour libérer l'esprit, lire l'existentialisme nous libère de certaines illusions sur nous-mêmes – non pour désespérer, mais au contraire pour agir consciemment.
Quel lien entre existentialisme et poésie du quotidien ?
À première vue, on pourrait croire que l’existentialisme est trop âpre ou cérébral pour dialoguer avec la poésie. Et pourtant, nombreux sont les auteurs qui ont su unir ces deux approches. L’attention aux détails du quotidien, la confrontation avec l’absurde, la quête d’authenticité... Tout cela se retrouve aussi dans certaines écritures poétiques modernes. La lecture existentialiste rend le monde plus dense – elle nous apprend à regarder chaque geste, chaque relation, chaque décision, comme un moment de vérité.
En ce sens, elle entre en résonance avec le surréalisme, qui utilise la poésie pour révéler ce qui est tapi dans l’inconscient. Là où le surréalisme explore l’inconscient, l’existentialisme explore la conscience nue, lucide – deux démarches qui parlent à la lectrice en quête de profondeur.
Pourquoi l'existentialisme résonne aujourd'hui auprès des lectrices ?
Dans une époque marquée par l’incertitude, les injonctions contradictoires et la quête d’un sens personnel dans un monde en mutation, les femmes trouvent dans l’existentialisme une littérature qui reconnaît leur chemin singulier. Quand Simone de Beauvoir dénonçait, dès 1949, l’injonction à la féminité comme destination obligatoire, elle ouvrait les portes à une réflexion sur le choix, l’autodéfinition, l’engagement.
Aujourd’hui, lire ces textes, c’est parfois se sentir accompagnée dans ses doutes, mais aussi renforcée dans sa liberté. C’est se réapproprier le pouvoir de dire « je veux » dans un monde qui trop souvent impose des « tu dois ».
Le MUSE BOOK CLUB s’adresse à toutes celles qui, à travers la littérature, cherchent non seulement des livres à aimer, mais aussi des façons de mieux habiter le monde. L’existentialisme est une invitation à cette présence lucide et active à soi et aux autres. Lire Sartre, Camus ou De Beauvoir, c’est lire pour devenir plus libre.