Ken Follett a marqué toute une génération de lecteurs avec son best-seller Les Piliers de la Terre, une fresque historique époustouflante, publiée en 1989. Son adaptation en mini-série par la chaîne Starz en 2010, avec en tête d’affiche Ian McShane et Eddie Redmayne, a suscité beaucoup d’attentes. Mieux vaut-il vivre l’épopée médiévale d’Aliena, Jack, Tom le Bâtisseur et du prieur Philip à travers les pages du roman, ou à l’écran ? Cet article propose une exploration comparative pour déterminer quel média offre l’immersion la plus puissante dans l’Angleterre du XIIe siècle.
Une fresque historique crédible et détaillée dans le roman de Ken Follett
Ken Follett a créé avec Les Piliers de la Terre une véritable cathédrale littéraire. Le roman est construit méthodiquement, autour de plusieurs arcs narratifs imbriqués qui s’étendent sur plusieurs décennies. Un travail de documentation colossal est à la base de ce texte : architecture gothique, règles monastiques, dynamiques féodales, implications religieuses… chaque détail sert à rendre vivante l'Angleterre du Moyen Âge.
La force du roman réside dans sa capacité à faire surgir un monde complexe sans jamais sacrifier la fluidité du récit. Les descriptions, précises mais jamais pesantes, plongent le lecteur dans la poussière des routes, l’agitation des marchés, la ferveur religieuse, la violence coutumière. Follett maîtrise l'art du rythme narratif, alternant scènes intimistes et grandes machinations politiques, tout en permettant au lecteur de voir évoluer les personnages sur le long terme.
C’est cette immersion lente mais enveloppante qui fait du roman une expérience inoubliable pour les passionnées de récits foisonnants et de contextes historiques finement travaillés.
Une adaptation visuelle esthétique, mais moins nuancée
La série Les Piliers de la Terre, réalisée par Sergio Mimica-Gezzan, a le mérite de mettre en images l’ambition gigantesque de Follett. Elle bénéficie d’un budget important, d’un casting solide, et de décors impressionnants tournés dans plusieurs régions européennes. L’atmosphère visuelle est sombre, brute, réaliste : la boue est omniprésente, les murmurations de complots sont palpables, et les paysages participent pleinement à l’ambiance médiévale.
Mais l’adaptation télévisuelle, condensée en huit épisodes, a dû faire des choix drastiques dans la sélection des fils narratifs. De nombreux personnages secondaires sont supprimés ou réduits à des fonctions symboliques. Certains événements sont simplifiés voire réécrits pour l’exigence du rythme audiovisuel. Si le cœur émotionnel de l’histoire est maintenu, les subtilités des motivations et des transformations des personnages s’effritent.
Par ailleurs, les modifications de l’adaptation tendent parfois à accentuer la dramaturgie de manière manichéenne, là où Follett proposait une grande complexité morale. Ainsi, la série convient sans doute mieux à un public en quête d’une fresque historique accessible, mais manque de la densité psychologique du roman.
Les personnages : une profondeur inégalée dans le livre
Les lectrices sensibles au développement psychologique des personnages trouveront dans le roman un plaisir sans équivalent. Le parcours de Tom, bâtisseur passionné mais vulnérable, de Jack, enfant sauvage devenu maître d’œuvre, d’Aliena, noble déchue résiliente, ou encore de Philip, prieur humaniste et stratège, se déploie sur plusieurs centaines de pages. Chaque personnage évolue en réaction à un contexte socio-politique mouvant, forgeant sa personnalité par l’adversité.
Dans la série, malgré le jeu convaincant de certains acteurs comme Rufus Sewell ou Hayley Atwell, les personnages sont moins exploités dans leur complexité. Quand on les voit à l’écran, les ellipses imposées par le format court laissent peu de place à l’ambivalence ou aux moments de remise en question.
Les amateurs d’univers narratifs développés sur le long terme retrouveront dans le livre ce que peu d’adaptations peuvent égaler : ce sentiment intime d’accompagner des êtres humains pendant plusieurs années de leur vie, en saisir toutes les nuances, les contradictions et les transformations.
La représentation du Moyen Âge : pédagogie littéraire vs visuel spectaculaire
Ken Follett a également réussi un tour de force pédagogique. Sans jamais tomber dans l’exposé lourd, il transmet une véritable connaissance implicite de la société médiévale. Il s’attarde sur l’évolution des méthodes de construction, les luttes de pouvoir entre l’Église et la monarchie, ou encore le fonctionnement des guildes. Le lecteur repart souvent avec la sensation d’avoir grandi intellectuellement, d’avoir visité mentalement une époque tout en apprenant à la comprendre.
La série, elle, doit prioriser l’effet visuel. Certes, elle rend tangibles les costumes, les constructions, les armes, les rituels. Mais elle n’explicite pas les mécaniques sociales ou spirituelles à l’œuvre. Or, c’est dans cette compréhension fine de l’époque que le roman prend une longueur d’avance. Le plaisir de lecture se double d’un éclairage documentaire, que la série ne peut fournir qu’en arrière-plan.
Une immersion sensorielle plus marquante dans le livre
Contrairement à l’idée reçue selon laquelle l’image serait plus immersive, Les Piliers de la Terre montre que la littérature permet une immersion plus sensorielle et émotionnelle. La description d’un chantier de cathédrale en activité, du froid mordant dans un monastère sans fenêtre, ou même de la solitude d’un bâtisseur dans la forêt, produit des images mentales souvent plus puissantes que la reconstitution cinématographique.
Le pouvoir de suggestion du texte est une expérience active : la lectrice construit peu à peu le monde en elle-même, le fait sien. Cette approche subjective favorise l’attachement, la projection, et le désir de prolonger la lecture. Une qualité que l’on retrouve également dans d’autres œuvres évoquant une époque révolue, telles que Une vie de Simone Veil, où le livre offre un ancrage personnel plus fort que son adaptation.
Pour les lectrices : que choisir pour une expérience enrichissante ?
Le choix dépend du type de voyage que l'on recherche. Celles qui désirent s’immerger dans un roman dense comme on entre dans un univers habité, approfondir leurs connaissances historiques tout en s’attachant durablement à des personnages réalistes et inspirants, seront comblées par Les Piliers de la Terre version papier.
Celles qui souhaitent découvrir rapidement les grandes lignes d’un récit spectaculaire et se laisser porter par le souffle épique d’un drame médiéval, tout en appréciant la beauté d’une reconstitution visuelle, trouveront dans la mini-série une porte d’entrée accessible et captivante.
Dans tous les cas, ce type d’adaptation fait écho à d'autres comparaisons intéressantes entre livres et écrans, comme celle faite dans notre article La Délicatesse de David Foenkinos ou encore Les Enfants du siècle sur la liaison mythique de George Sand et Alfred de Musset.
Conclusion : la densité littéraire au service de l’immersion
Entre grand roman historique et série ambitieuse, Les Piliers de la Terre illustre la difficulté d’adapter la richesse d’un texte long et complexe à un format temporellement contraint. Si la série télévisée parvient à captiver par son esthétique et son sens du drame, elle ne restitue qu’une partie de l’expérience immersive initiée par Ken Follett dans son œuvre.
Pour les lectrices en quête d’authenticité, de profondeur narrative et de densité historique, la lecture demeure l’option la plus riche. Comme souvent, c’est dans les pages que se cachent les pierres angulaires de l’Histoire.