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Le futurisme : lire les rêves et angoisses du progrès

Au tournant du XXe siècle, une poignée d’artistes, écrivains et intellectuels se sont levés avec une ambition folle : inventer l’avenir. Déçus du passé, impatients du présent, ils ont voulu précipiter le monde dans une ère nouvelle, bouleverser les codes et faire table rase des traditions. Ce mouvement, c’est le futurisme. Né en Italie en 1909 avec Filippo Tommaso Marinetti, le futurisme a rapidement dépassé les frontières de la péninsule, s’implantant dans la littérature, les arts plastiques, la musique et même l’architecture. Mais au-delà de l’avant-garde formelle, que nous dit le futurisme sur notre rapport au progrès, à la vitesse, au changement ? Et que peuvent en tirer aujourd’hui les lectrices sensibles aux tensions entre rêve d’avenir et angoisses du présent ?

Origines du futurisme : entre exaltation de la modernité et rejet du passé

Le manifeste du futurisme, publié par Marinetti dans Le Figaro en 1909, pose les bases d’un programme radical : exalter la vitesse, la technologie, la guerre, briser le culte du passé, rejeter les musées et les bibliothèques, glorifier les machines. Pour les futuristes, les locomotives, les moteurs d’avion et les lignes tendues d’un pont moderne sont plus beaux que les statues antiques. La littérature futuriste se veut bruitiste, déchaînée, déstructurée. Les mots, comme les villes en pleine mutation, doivent exploser de nouveauté.

Ce rejet volontaire de l’héritage humaniste et romantique rapproche pourtant le futurisme d’autres courants littéraires en quête de renouveau, comme la littérature décadente qui, à sa manière, exprimait un monde en fin de cycle. Là où les décadents nostalgiques rêvaient d’évasion, les futuristes rêvent de confrontation. Mais tous cherchent à répondre à une même question : que faire d’un monde qui bascule ?

La littérature futuriste : des mots comme des déflagrations

Les écrivains futuristes comme Marinetti, Paolo Buzzi ou encore Ardengo Soffici cherchent à créer une langue neuve, qui épouse les rythmes de la machine et de la ville moderne. Ils expérimentent des formes typographiques inédites, jouent avec des mots en liberté, inventent des poèmes sans ponctuation ni syntaxe, où tempêtes, moteurs et bombes deviennent des métaphores de l’écriture elle-même.

Cette approche – bien que souvent jugée illisible ou violemment provocante – ouvre de nouvelles voies pour penser le lien entre littérature et modernité. En rendant visible l’irruption du brouhaha industriel dans le langage, le futurisme raconte à sa manière la difficulté d’être au monde dans un environnement en pleine accélération. Un malaise que partagent d’ailleurs, en miroir inversé, les autrices de la littérature engagée, confrontées aux réalités sociales et politiques de leur époque.

Futurisme et femmes : entre fantasme de virilité et absence criante

Il faut reconnaître que le futurisme historique fut profondément masculiniste. Le manifeste de Marinetti exalte la virilité, la guerre, la vitesse – des valeurs associées à une virilité agressive. Les femmes, dans cette vision, sont rarement sujettes mais plutôt représentées comme objets de désir, voire obstacles à l’élan révolutionnaire.

Ainsi, les écrivaines futuristes sont rares, et souvent marginalisées au sein du mouvement. Seules figures notables : Valentine de Saint-Point, auteure du "Manifeste de la femme futuriste" (1912), qui tente de redéfinir la féminité à l’aune de cette nouvelle esthétique. Mais sa contribution reste isolée, et la voix des femmes reste peu entendue dans un courant dominé par l’envie de dominer justement – que ce soit la nature, le langage, le temps.

Les paradoxes du progrès : quand le rêve se transforme en cauchemar

Là où le futurisme croyait se tourner vers la lumière, la tragédie historique du XXe siècle a révélé ses zones d’ombre. L’exaltation de la guerre, du nationalisme et du modernisme technique a, chez certains futuristes italiens, servi de passerelle vers le fascisme. Marinetti lui-même a participé à l’aventure militariste italienne et soutenu Mussolini à ses débuts. De quoi interroger la promesse du progrès, quand celui-ci devient idéologie plutôt qu’ouverture.

Paradoxalement, c’est en lisant la littérature futuriste avec du recul que l’on saisit mieux ce que le progrès charrie d’ambivalent. Cette tension est d’ailleurs magnifiquement explorée dans des courants plus récents comme le réalisme magique, qui oppose la rationalité moderne à la part mythique ou sensorielle de l’expérience humaine. Le progrès n’y est pas rejeté, mais remis en question dans sa prétention à tout expliquer, tout dominer.

Le futurisme aujourd’hui : une source d’inspiration critique

Lire le futurisme aujourd’hui, ce n’est pas faire l’éloge d’un passé révolu, mais questionner notre propre rapport au futur. Dans un monde saturé d’innovations, de promesses technologiques et de crises écologiques, les angoisses du progrès n’ont jamais été si présentes. Vitesse, efficacité, changement : ces mots résonnent, parfois douloureusement, dans nos quotidiens hyperconnectés.

Pour les lectrices qui se tournent vers la littérature comme refuge, miroir ou outil de compréhension, le futurisme ouvre un espace critique : et si nos rêves d’avenir n’étaient que des cauchemars bien déguisés ? Et si l’accélération devenait une impasse ? Ces réflexions trouvent aussi écho dans la littérature prolétarienne, qui oppose aux fantasmes technocratiques la densité d’une vie collective, enracinée dans le réel.

Conclusion : relire le futurisme avec les yeux d’aujourd’hui

Le futurisme, malgré ses excès et contradictions, reste un chapitre fascinant de l’histoire littéraire. Il rappelle combien les mots peuvent anticiper les bouleversements historiques, mais aussi les amplifier ou les pervertir. Pour une lectrice d’aujourd’hui, curieuse de comprendre les liens entre art, idéologie et société, le courant futuriste propose un miroir déformant mais instructif.

Dans une époque où tout va vite, relire les éclats de voix futuristes peut paradoxalement ralentir le regard, poser les bonnes questions : pourquoi voulons-nous aller plus vite ? Et vers quoi courons-nous vraiment ? Il appartient à chacune de réinterroger ces élans, de faire le tri entre utopie et illusion, et peut-être, de reconstruire un imaginaire du progrès plus doux, plus ancré, plus humain.

Et si les lectrices d’aujourd’hui, à l’image de Saint-Point ou d’autres figures oubliées, inventaient une nouvelle littérature du futur ? Une qui concilie le souci du monde, la beauté des formes et la force des mots — loin des accélérations vides et des rêves mécaniques.

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