Lire, c’est souvent chercher à se comprendre soi-même. Dans cet acte singulier, la littérature autobiographique offre une passerelle troublante entre l’intime de l’auteur·rice et celui du lecteur ou de la lectrice. Le courant autobiographique, qui place la vie réelle de l’écrivain au cœur de son œuvre, nous invite à entrer dans les chemins escarpés d’existences partagées. Pourquoi ces écrits d’une vie séduisent-ils tant ? Et en quoi nous parlent-ils de nous-mêmes ? Plongeons dans cet univers fascinant où la sincérité de l’autre éclaire notre propre récit intérieur.
Comprendre le courant autobiographique en littérature
L’autobiographie, au sens strict, se définit comme un récit qu’une personne fait de sa propre vie. Le terme est théorisé pour la première fois par Philippe Lejeune, qui établit le pacte autobiographique: un contrat implicite entre l’auteur·rice et le lecteur ou la lectrice, selon lequel le nom inscrit sur la couverture est aussi celui du narrateur et du personnage principal. C’est cette transparence de l’identité narrative qui distingue l’autobiographie de la fiction, bien que la frontière entre les deux soit souvent perméable.
Des pionniers comme Jean-Jacques Rousseau, avec ses Confessions, ont posé les fondations de ce courant littéraire qui n’a cessé d’évoluer. De Georges Perec à Annie Ernaux, en passant par Marguerite Duras ou Hervé Guibert, raconter sa vie est devenu un geste littéraire fort, un acte d’émancipation mais aussi d’introspection sociale et émotionnelle.
Les grandes figures de l’autobiographie féminine
Les autrices ont investi le genre autobiographique pour faire entendre des voix longtemps absentes de l’espace littéraire. Simone de Beauvoir, dans Les Mémoires d’une jeune fille rangée, explore les déterminismes sociaux et familiaux qui ont forgé sa conscience de femme. Annie Ernaux, prix Nobel de littérature en 2022, transforme son vécu personnel en une matière universelle, en traitant du corps, de la mémoire ou des classes sociales avec une grande rigueur sociologique.
Chimamanda Ngozi Adichie, bien que souvent associée à la fiction, introduit dans des essais comme We Should All Be Feminists une dimension fortement autobiographique pour parler de sexisme et de racisme. De manière plus récente, des autrices comme Fatima Daas (avec La Petite Dernière) ou Pauline Harmange abordent à travers leur parcours intime des thématiques contemporaines telles que l’identité, la religion, ou le féminisme radical.
Pourquoi le courant autobiographique touche-t-il autant les lectrices ?
Lire une autobiographie, c’est comme écouter une confidence. Ce genre crée une proximité émotionnelle, un télescopage entre l’expérience de l’auteur·rice et celle de la lectrice. Le courant autobiographique offre des figures avec lesquelles on peut s’identifier, s’interroger ou s’opposer. Il nous permet souvent une double lecture : celle du récit d’une vie et celle de notre propre vécu, en miroir.
Les lectrices en quête d’histoires sincères trouvent dans ces œuvres une densité émotionnelle spécifique. La parole autobiographique tranche avec les récits fictifs : ici, le moindre détail quotidien prend une portée universelle. Que ce soit dans L’Événement d’Annie Ernaux ou dans Journal d’un corps de Daniel Pennac, la dimension physique, affective ou politique du corps vécu devient un champ immense d’identification.
L’écriture de soi comme acte littéraire engagé
Le courant autobiographique n’est pas qu’un genre littéraire : c’est un espace de revendication, un levier de transformation sociale. Écrire sur soi, c’est aussi écrire sur les autres, sur un monde tel qu’on l’a perçu, subi ou aimé. Dans cette optique, nombre de récits autobiographiques abordent les violences du monde — sexisme, racisme, homophobie, pauvreté — et parviennent ainsi à politiser l’intime.
Dans Retour à Reims, Didier Eribon interroge la construction de son identité homosexuelle dans un environnement ouvrier. De même, dans Le Lambeau, Philippe Lançon transforme un drame personnel — l’attentat de Charlie Hebdo — en méditation sur la survie et l’humanité. Ces écrits montrent comment la parole autobiographique peut s’élever au rang d’acte de résistance ou de mémoire collective.
Lorsque l’autobiographie flirte avec la fiction littéraire
De nombreux écrivain·es s’amusent avec les limites entre fiction et autobiographie. Le roman autobiographique, par exemple, conserve une base réelle mais passe par les filtres de l’imaginaire, du style et parfois du mensonge. Marguerite Duras, dans L’Amant, transforme un pan de sa jeunesse coloniale en récit sensuel, mystérieux, oscillant entre vérité ressentie et déformation poétique.
À l’inverse, certains romans purement fictifs empruntent au code autobiographique pour instaurer une authenticité émotionnelle. Ce brouillage volontaire participe à une exploration littéraire des différentes façons de dire le vrai. Le courant autobiographique interagit ainsi avec d'autres genres comme la littérature urbaine, où les vécus dans la ville deviennent des supports narratifs puissants.
Se lire soi-même dans les récits des autres
Le pouvoir du courant autobiographique réside finalement dans cette porosité entre l’individuel et l’universel. Il ne suffit pas de « raconter sa vie » : encore faut-il que celle-ci aiguise des résonances, soulève des questionnements, ou ouvre des espaces de pensée. Lire la vie des autres devient alors une manière de s’interroger sur son propre positionnement : qui suis-je, comment ai-je grandi, quel est mon rôle dans le monde ?
Les autobiographies féminines, en particulier, répondent à un besoin de représentation et de sensibilité partagée. En cela, elles rejoignent certains idéaux portés par d'autres formes de littérature engagée, comme la littérature utopique ou la dystopie, dans leur volonté de questionner et transformer le réel.
Comment débuter la lecture d’œuvres autobiographiques marquantes ?
Voici quelques suggestions pour plonger dans le courant autobiographique sans se perdre :
- Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau – Pour les bases du genre.
- Les Années d’Annie Ernaux – Une chronique sociale et personnelle du XXe siècle.
- En finir avec Eddy Bellegueule d’Édouard Louis – Sur la violence du monde ouvrier envers les corps différents.
- Journal du dehors d’Annie Ernaux – Où le regard de l’autrice se pose sur la société autant que sur elle-même.
- L’Amant de Marguerite Duras – L’autobiographie sensuelle sublimée par l’écriture poétique.
Pour les lectrices désireuses de découvrir d’autres formes de récits très ancrés dans l’intime et porteurs de grands idéaux littéraires, nous conseillons également notre article explorant le romantisme anglais, où l’intériorité féminine est au cœur de l’œuvre.
Conclusion : lire l’autre pour mieux s’écrire
Le courant autobiographique propose plus qu’un simple regard sur une vie : il nous ouvre à une lecture réflexive de notre propre parcours. En nous offrant des récits de femmes et d’hommes aux prises avec leur passé, leur corps, leur famille ou leur société, il nous invite à prendre la plume intérieure pour tenter de nous comprendre autrement. Lire la vie des autres, c’est un peu écrire la nôtre.