Quand une œuvre navigue entre roman et adaptation cinématographique, la question revient toujours : faut-il lire le livre avant de voir le film ? Dans le cas du Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates, l’interrogation prend tout son sens tant l’un comme l’autre offre une expérience émotionnelle riche. Roman épistolaire au charme singulier, puis film aux accents neo-romantiques, cette œuvre tisse une histoire ancrée dans la Seconde Guerre mondiale, à la fois légère et poignante. Alors, pour celles qui hésitent entre les pages jaunies et les images en mouvement, analysons ensemble les dynamiques complémentaires de ces deux formats.
Le roman « Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates » : un essor littéraire singulier
Publié en 2008 en France (titre original : The Guernsey Literary and Potato Peel Pie Society, 2008), le roman est écrit par Mary Ann Shaffer et terminé par sa nièce Annie Barrows. Cette œuvre est un roman épistolaire — c’est-à-dire uniquement rédigé sous forme de lettres —, qui enchante par la vivacité de ses échanges et l’attachement progressif que l’on développe pour les personnages. L’histoire se déroule en 1946. Une auteure londonienne, Juliet Ashton, noue une correspondance avec des habitants de l’île de Guernesey, marquée par l’occupation allemande.
La plume du roman est subtile, ponctuée de traits d’humour britanniques et de tendresse sincère. C’est un hommage délicat au pouvoir des livres et des mots à travers l’histoire de cette société littéraire improvisée pendant la guerre pour échapper aux dictats de l’occupant.
Le film Netflix de 2018 : une adaptation douce et romantique
Le film qui en a été tiré, réalisé par Mike Newell (connu pour Quatre mariages et un enterrement ou Harry Potter et la Coupe de Feu), a été diffusé en 2018 sur Netflix. Il réunit Lily James (dans le rôle de Juliet Ashton), Michiel Huisman et Penelope Wilton.
Si le film conserve l’essence du livre — l’amour des livres, l’importance de la communauté, et les cicatrices de la guerre —, il opère inévitablement quelques transformations narratives. Le choix de la narration linéaire remplace ici la structure en lettres, supprimant ainsi le charme de la polyphonie du roman. Toutefois, la beauté des paysages de Guernesey (en réalité tourné à Cornwall) vient combler cette perte de structure par une immersion visuelle de toute beauté.
Les différences majeures entre le livre et son adaptation filmique
Quand on s’interroge sur le fait de lire ou de regarder en premier, il faut prendre en compte les différences notables entre ces deux œuvres :
- Le style épistolaire : le roman joue sur la multiplicité de voix et la subjectivité des points de vue. Chaque lettre dévoile une autre facette de la guerre et de la reconstruction. Le film, quant à lui, suit majoritairement Juliet, rendant la narration beaucoup plus univoque.
- Le traitement des personnages secondaires : dans le livre, chaque membre du cercle a sa place, son style d’écriture, sa petite histoire. Le film se centre davantage sur Juliet et Dawsey, simplifie certaines intrigues secondaires et enlève certains personnages.
- L’ambiance émotionnelle : le roman instille dans les échanges une palette d’émotions nuancées, du sarcasme tendre à la douleur intime. Le film a un ton plus romantique, parfois à la limite du mélodrame, ce qui plaira ou non selon les goûts.
Ces différences sont à mettre en perspective avec d'autres adaptations littéraires telles que Jane Eyre ou encore Little Women, où le choix de mise en scène influence entièrement notre compréhension de l’œuvre source.
L’ordre idéal : lire ou regarder d’abord ?
Lire en premier s’avèrera probablement la meilleure expérience pour les lectrices sensibles à la littérature, à la finesse des émotions et à la complexité des personnages. Le style épistolaire donne une authenticité que le film peine à transmettre. C’est en lisant que l’on découvre une Juliet plus complexe, des amitiés plus profondes, des douleurs plus poignantes.
Cela dit, regarder en premier peut aussi séduire celles qui découvrent l’histoire depuis Netflix ou qui préfèrent un format narratif plus fluide. Voir le film peut attiser la curiosité, donner envie de se plonger dans le roman pour goûter à une version plus étoffée et ainsi revivre l’aventure de manière plus intime.
Notons que cet aller-retour entre support papier et image se révèle particulièrement enrichissant dans la lecture croisée d’œuvres comme Les Hauts de Hurlevent ou encore dans les interprétations cinématographiques de récits initiatiques comme Sur la route.
Pour qui est cette histoire ?
Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates parlera aux femmes en quête d’une lecture réconfortante, mais pas mièvre. C’est autant un hommage à la force du collectif qu’un récit d’émancipation féminine. Juliet Ashton est une figure charmante de femme indépendante, bien avant l’heure, qui interroge sa place dans un monde en reconstruction. Les lectrices qui aiment les romans historiques à dimension intime ou les récits épistolaires aimeront s’y perdre.
Pour les amatrices de poésie discrète du quotidien, ce roman évoque aussi la résilience, l’amour entre les lignes et ce que la littérature peut faire dans les moments les plus sombres.
Conclusion : et si vous faisiez les deux ?
Finalement, le débat « roman ou film en premier » s’estompe tant ces deux formats peuvent se compléter intelligemment. Lire le roman avant de découvrir le film permet d’avoir une profondeur émotionnelle accrue. Regarder le film d’abord, c’est entrer en douceur dans une histoire avant d’en savourer chaque lettre écrite à la main.
Et vous, quelle lectrice êtes-vous ? Celle qui préfère deviner le parfum du papier avant de voir les visages imaginés prendre chair à l’écran ? Ou celle qui se laisse d’abord porter par le son, la beauté visuelle, avant d’aller chercher l’âme dans les pages ?
Quoi qu’il en soit, n’oubliez pas que comme pour Dune de Frank Herbert, le véritable enrichissement naît souvent du dialogue entre texte et image. Alors laissez-vous porter par les deux, et surtout, partagez vos impressions avec d’autres lectrices. Après tout, c’est l’essence même d’un cercle littéraire.