La littérature coloniale est un pan complexe et souvent controversé de l'histoire littéraire mondiale. Elle englobe les œuvres produites pendant les périodes de colonisation, tant du côté des puissances colonisatrices que des populations colonisées. Pendant des siècles, les grandes nations européennes ont imposé leur présence à travers le monde, laissant une empreinte politique, économique et culturelle — dont la littérature est un témoin privilégié.
Qu'est-ce que la littérature coloniale ? Définition et contexte historique
La littérature coloniale désigne généralement les œuvres écrites durant les périodes de domination impériale, en particulier aux XIXe et XXe siècles. Ces textes ont été produits aussi bien par les colonisateurs que par les colonisés, mais leur visibilité et leur influence historique ont été très inégalement réparties.
Les récits coloniaux les plus connus sont ceux écrits par des Européens tels que Rudyard Kipling, Joseph Conrad ou Albert Londres. Ces écrivains décrivaient les colonies avec une perspective impériale, souvent teintée d’exotisme, de paternalisme et d’une hiérarchie raciale implicite. Ces voix dominantes ont longtemps façonné l’imaginaire occidental de « l’Autre ».
Dans ces œuvres, les populations locales sont souvent réduites à des archétypes ou à des forces du décor. La complexité des traditions, des langues et des cultures indigènes est effacée ou caricaturée. Cette littérarisation de la domination contribuait à justifier l’entreprise coloniale.
L'œuvre coloniale : entre fascination et légitimation de l’empire
Un des exemples les plus célèbres est Au cœur des ténèbres (1902) de Joseph Conrad. Ce roman, centré sur une expédition au Congo belge, a été perçu par beaucoup comme une critique de la brutalité coloniale. Cependant, d'autres y voient également une vision eurocentrée, où l’Afrique demeure une toile de fond obscure, menaçante, dépourvue de voix africaines réelles.
De même, Rudyard Kipling, avec son poème The White Man’s Burden (1899), prônait la « mission civilisatrice » de l’homme blanc, illustrant parfaitement la posture paternaliste qui imprégnait l’esprit colonial. Ces représentations, souvent enseignées comme des classiques de la littérature, ont longtemps éclipsé d’autres récits plus nuancés ou contestataires.
Les contre-récits : voix des colonisés, résistances littéraires
Face à ce canon dominant, une autre littérature s’est développée : celle des colonisés. Bien que longtemps marginalisée, elle constitue aujourd’hui un champ d'étude en expansion et une source inestimable de compréhension historique et culturelle.
Parmi les figures majeures de ces contre-récits, Aimé Césaire, auteur du Cahier d’un retour au pays natal (1939), a profondément marqué la littérature francophone. Ce long poème en prose dénonce le racisme, la dépossession coloniale et affirme une identité noire forte et digne. Il est l’un des fondateurs du mouvement de la négritude avec Léopold Sédar Senghor et Léon Gontran Damas.
D’autres auteurs, comme Frantz Fanon avec Les Damnés de la Terre (1961), ont radicalement remis en question les structures mentales héritées de la colonisation. Dans la sphère anglophone, d'écrivains comme Chinua Achebe avec Things Fall Apart (1958) ont réécrit le récit africain de l’intérieur, dénonçant les destructions causées par la domination britannique au Nigéria. Achebe a d'ailleurs reproché à Joseph Conrad son regard déshumanisant sur l’Afrique.
Ces écrivains ne se contentent pas de documenter la colonisation, ils la déconstruisent. Ils redonnent voix aux personnages autrefois figés dans les marges du récit. Leur œuvre participe d’une réappropriation, d’une revalorisation des langues, des histoires et des cultures autochtones.
La décolonisation littéraire : enseignement et reconnaissance
Depuis les années 1960, la multiplicité des voix issues de pays anciennement colonisés a enrichi le paysage littéraire mondial. Mais ces contre-récits tardent encore à être pleinement intégrés dans les programmes scolaires ou dans la critique littéraire dominante. L’édition, les prix littéraires et les réseaux universitaires ont souvent contribué à pérenniser un canon inégalitaire.
Heureusement, des initiatives émergent pour rééquilibrer cette histoire. La reconnaissance croissante de figures comme Maryse Condé, prix de la Nouvelle Académie en 2018, ou encore de Jamaica Kincaid, autrice d'origine antillaise, montre que les narrations multiples prennent davantage de place.
Les universités mettent en place des cursus de “postcolonial studies”, et de nombreux éditeurs rééditent enfin des ouvrages longtemps relégués. Mais ce processus de décolonisation littéraire reste inachevé.
Dans cette dynamique de redécouverte, on peut faire le parallèle avec l’analyse d'autres courants littéraires historiques comme le romantisme russe ou la littérature courtoise médiévale, qui nécessitent également une mise en contexte culturelle et politique pour être comprises pleinement.
Pourquoi relire la littérature coloniale aujourd’hui ?
Lire et relire la littérature coloniale dans toute sa complexité, c’est s’ouvrir à une réflexion critique sur notre histoire commune. Comprendre les mécanismes de domination et de résistance à travers les récits permet de questionner les héritages que ces textes continuent de véhiculer.
Ce travail critique ne signifie pas de rejeter en bloc les œuvres coloniales, mais de les lire avec conscience, en y confrontant d'autres voix. C’est ainsi que les lectrices — et lecteurs — engagés, comme ceux qui suivent les publications du courant épicurien ou les formes de littérature pastorale, pourront enrichir leur rapport à la lecture comme acte culturel et politique.
Enfin, donner de la place aux contre-récits, c’est aussi une manière d’encourager une littérature plus inclusive. Une littérature qui fait dialoguer les voix plutôt que de les hiérarchiser.
Ressources et lectures complémentaires
- Discours sur le colonialisme, Aimé Césaire
- The Empire Writes Back, Ashcroft, Griffiths & Tiffin
- Une histoire postcoloniale de la littérature française, Lise Gauvin
- Wikisource pour découvrir des œuvres coloniales tombées dans le domaine public