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L’adaptation de Room : restitution fidèle de l’intimité du roman ?

Une œuvre littéraire bouleversante et singulière

Publié en 2010, le roman Room de l’autrice irlandaise Emma Donoghue a captivé les lecteurs du monde entier par la puissance de son récit et la singularité de sa narration. Inspiré de faits réels, mais transformé avec poésie et pudeur, le roman donne la parole à Jack, un petit garçon de cinq ans, élevé dans une seule et unique pièce qu’il considère comme son monde entier. C’est à hauteur d’enfant que nous découvrons peu à peu l’enfermement de sa mère, Ma, victime d’enlèvement et retenue depuis des années.

Ce choix narratif confère au livre une voix intime, à la fois innocente et poignante, qui constitue l’un des cœurs battants de l’œuvre. L’arrivée du film Room en 2015, réalisé par Lenny Abrahamson et également écrit par Emma Donoghue, a suscité une question essentielle pour les lectrices du roman : le film parvient-il à rendre justice à cette intimité si précieuse, si vive dans le livre ?

L’adaptation cinématographique de Room : fidélité et contraintes

Sorti en 2015, le film Room s’est rapidement fait un nom sur la scène internationale. Récompensée par un Oscar pour la meilleure actrice (attribué à Brie Larson pour son interprétation bouleversante de Ma), l’adaptation s’est distinguée pour son respect de la matière première. Avec Emma Donoghue elle-même au scénario, le projet s’est construit avec une volonté de préservation de l’esprit du roman.

Cependant, transposer un roman aussi intérieur à l’écran implique des défis majeurs. Là où le roman est entièrement raconté par la voix de l’enfant, le film propose une narration plus classique, réduisant l’omniprésence du regard de Jack. Ce changement était sans doute nécessaire pour des raisons de compréhension et d’émotion cinématographiques, mais cela transforme inévitablement la nature de l’histoire.

Plutôt que de faire perdurer la narration subjective de Jack sous forme de voix off ou de monologue intérieur étendu, Abrahamson choisit d’alterner avec des perspectives plus distanciées, rendant ainsi le récit plus universel mais moins étroitement intime.

Le traitement de l’espace clos : de la page à l’écran

Dans Room, la fameuse « Chambre » est bien plus qu’un lieu : elle est un personnage, un univers, une cosmogonie complète pour Jack. Emma Donoghue en fait un monde vivant, détaillé, peuplé d’objets animés et nommés comme de vrais amis (Table, Lampe, Tapis…). Ces procédés littéraires donnent au récit une dimension presque magique, et ils soulignent la capacité de l’enfant à transformer le confinement extrême en routine rassurante.

Le film reproduit cette perception avec une certaine habileté. La caméra joue souvent à hauteur d’enfant, les angles sont resserrés, et les choix lumineux contribuent à rendre l’espace chaleureux et familier, malgré sa nature prisonnière. Cependant, le pouvoir du langage qui personnifie la Chambre dans le roman reste difficile à traduire visuellement, malgré des tentatives de captation de l’imaginaire de Jack.

À ce titre, l’analyse de l’adaptation du Parfum de Patrick Süskind souligne un point commun : certains romans, basés sur des perceptions sensorielles ou subjectives intenses, trouvent difficilement une équivalence à l’image sans perdre de leur pouvoir d’introspection.

Les performances d’acteurs comme relais de l’émotion littéraire

Dans ce genre d’histoire où les émotions intérieures priment sur l’action, la réussite du film repose en grande partie sur le jeu d’acteurs. Brie Larson livre une performance impressionnante, tout en nuances, entre épuisement, tendresse et résilience. Le jeune Jacob Tremblay, qui incarne Jack, apporte une authenticité saisissante au rôle : sa manière de percevoir et d’interagir avec le monde reflète avec justesse l’innocence cognitive du personnage dans le roman.

Leur relation à l’écran fonctionne comme une respiration contenue. Là où le roman pouvait explorer à loisir les doutes et les joies de Ma, le film intègre ces éléments par l’attitude, les regards, les silences. C’est parfois plus elliptique, mais souvent bouleversant.

Cette approche nous rappelle celle du film Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, où la sensibilité de la narration enfantine est conservée en partie grâce au jeu subtil des jeunes acteurs et d’une réalisation attentive.

L’après-Chambre : un tournant narratif maîtrisé ?

La deuxième moitié du film, tout comme dans le roman, aborde la vie après l’évasion. Cette partie, moins sensationnaliste que le reste, interroge les séquelles psychologiques, le difficile retour à la société, la confrontation à ce que Jack prenait pour une fiction : l’extérieur.

Emma Donoghue a souvent rappelé que l’histoire de Room était davantage celle de la résilience que de la captivité. À cet égard, le film conserve bien cette intention. Il montre que la reconstruction, en particulier pour Ma, est semée d'ambiguïtés et d'incompréhensions, même parmi les proches. Pour Jack, l'intégration passe par un processus d’apprentissage et de perte. Il faut dire au revoir à Chambre, dire bonjour au réel.

Le film met en lumière ce passage sans trop appuyer sur le mélodrame, préférant une pudeur dans les scènes clés. En cela, il rejoint des adaptations comme Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre, qui savent préserver la densité psychologique de leurs personnages au-delà des événements spectaculaires.

Room, un exemple d’adaptation équilibrée mais transformée

Peut-on parler d’une adaptation fidèle de Room au cinéma ? Oui, dans une certaine mesure : les grandes lignes narratives, les thématiques fondamentales, et l’évolution des personnages sont respectées avec soin. Toutefois, force est de constater que l’expérience de lecture, centrée sur une subjectivité pure et continue, est sensiblement différente de celle offerte par le film.

Il serait sans doute impossible de reproduire à l’identique la voix de Jack, avec sa naïveté tendrement construite, ses détours linguistiques et son imaginaire touffu. Le film fait donc des choix, parfois judicieux, parfois frustrants pour les lecteurs du roman, mais toujours dans une forme de respect artistique.

Comme pour Les Misérables de Victor Hugo, Room illustre à quel point le passage du roman au cinéma nécessite des arbitrages entre fidélité littéraire et conventions du médium audiovisuel.

Conclusion : pour qui le film Room est-il une réussite ?

Pour les cinéphiles n’ayant pas lu le roman, Room est un drame intense et intimiste qui frappe par sa justesse émotionnelle. Pour les lectrices du roman, l’expérience est plus complexe : la magie intérieure de la narration enfantine est remplacée par une perspective plus ouverte, moins innovante peut-être, mais maîtrisée et sensible.

En somme, Room fait partie de ces adaptations qui révèlent autant qu’elles transforment. C’est aussi une réflexion subtile sur notre rapport à la fiction et à la réalité : combien de mondes peut-on porter en soi avant de découvrir celui des autres ?

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