Peu d’autrices incarnent aussi bien la liberté créative et l’élégance que Colette. Femme de lettres avant tout, elle a aussi été mime, comédienne, journaliste – et chaque facette de sa personnalité semblait alimenter ses textes, sensuels, intimement féminins, audacieux. Mais derrière cette plume assurée se trouvait une femme profondément superstitieuse, voire ésotérique dans sa manière d’aborder le processus d’écriture.
Les bijoux personnels de Colette : de simples accessoires ou des talismans littéraires ?
Dans son appartement de la rue de Beaulieu, Colette travaillait souvent au lit, couverte de coussins, les rideaux tirés. À ses doigts, quelques bagues toujours présentes, même lorsqu’elle écrivait. Parmi celles-ci, une bague en or sertie d’un saphir, cadeau de son second mari Henry de Jouvenel, qu’elle considérait comme un symbole de protection et d’inspiration. Ce n'était pas une coquetterie mais une façon rituelle de se préparer à écrire.
Pour Colette, les bijoux étaient plus que de l’ornementation : ils contenaient une mémoire et une énergie. Elle ne portait pas n’importe quel bracelet ou collier pour n’importe quelle œuvre. Lorsqu’elle s’attelait à des textes plus audacieux, tels que Chéri (1920) ou Le Blé en herbe (1923), elle choisissait avec minutie les bijoux qui l’accompagneraient. Certains auteurs trouvent leur rythme dans une routine matinale ou dans un décor précis. Pour Colette, l’amulette avait ce rôle silencieux mais essentiel.
L’influence des bijoux sur sa posture d’autrice indépendante
Les années 1900-1930 étaient peu propices à l’émancipation féminine, surtout dans le champ littéraire. Pourtant, Colette a su conquérir son autonomie littéraire, en refusant bien souvent les injonctions de son époque. Horlogère de ses propres rituels, elle ponctuait volontiers ses journées avec des moments de contemplation silencieuse, où elle palperait son bracelet favori, comme pour y puiser une force intérieure.
Certains critiques considèrent que cette connexion avec ses bijoux portait aussi une dimension quasiment païenne – comme une croyance tacite en l’objet, sa mémoire, sa capacité à incarner une émotion ou une intention. Cette idée rejoint celle que nous découvrons aussi dans l’article sur George Eliot, qui, elle aussi, conférait un vrai pouvoir émotionnel à certains objets liés à l’écriture.
Les origines de son attachement à ces objets personnels
L’enfance de Colette, passée à Saint-Sauveur-en-Puisaye, est marquée par des influences féminines fortes : sa mère, Sidonie Landoy, dite Sido, lui transmet un profond respect de la nature et une intuition quasi mystique du vivant. Cette sensibilité a très certainement laissé des traces dans la manière dont Colette considérait le monde matériel – comme porteur de résonances intimes.
À mesure qu’elle s’avance dans sa carrière solo – après s’être émancipée de Willy, son premier mari qui avait initialement signé ses livres – Colette affûte ses propres pratiques créatives. Il n’est donc pas étonnant que dans une telle quête d’indépendance, elle accorde autant d’importance à ses bijoux personnels, mémoires tangibles de ses multiples renaissances artistiques.
L’écriture de l’audace : quand ses bijoux devenaient des alliés symboliques
Dans les moments où Colette s’engageait dans des expériences stylistiques ou narratives plus audacieuses, les bijoux n’étaient pas là que pour la rassurer. Ils semblaient incarner une posture. Écrire une scène de désir dans Sido, par exemple, ou disloquer la temporalité dans La Vagabonde (1910), demandait une maturité, mais aussi une autorisation intérieure. Cette autorisation, elle la puisait parfois dans le simple geste de passer une chaîne autour de son cou ou de tapoter un pendentif familier du bout du doigt.
Cette approche holistique de l’écriture rappelle ce que nous avons évoqué dans l’histoire d’Ina Seidel : l’espace physique et esthétique peut nourrir la création littéraire, non comme un décor, mais comme un moteur profond.
La transmission de ses bijoux : héritages et reliques créatives
Quand Colette meurt en 1954, ses effets personnels sont répartis entre ses proches. Certains de ses bijoux deviennent des objets de collection. Pourtant, aucun n’est considéré comme « de grande valeur » par les experts en joaillerie ; c’est plutôt leur valeur symbolique qui les rend inestimables. Ce sont des objets à forte empreinte émotionnelle.
De nombreuses lectrices et chercheuses qui explorent la vie et l’œuvre de Colette s’émerveillent devant la cohérence entre ses textes et ses habitudes de vie. Elle écrivait avec ses mains, mais aussi avec ses sens, avec toute sa personne. Comme nous l’avons noté dans notre article sur Emily Brontë, chaque autrice tisse autour de son art un univers personnel. Pour Colette, porter ses bijoux favoris équivalait à convoquer une version d’elle-même pleinement libre d’exprimer ce qu’elle pressentait du monde féminin et du monde tout court.
La leçon créative léguée par Colette aux écrivaines d’aujourd’hui
Au-delà d’une simple anecdote, cette association de bijoux et d’inspiration littéraire nous invite, encore aujourd’hui, à réinterroger notre rapport aux objets. Ce que nous portons lorsque nous créons – que ce soit un bijou, un foulard, une chemise particulière – a-t-il un impact sur la qualité de notre concentration ? De notre inspiration ? Il est indiscutable que le rituel rassure, aligne, nous prépare.
On pourrait dire, à l’instar de la démarche explorée dans notre article sur Lou Andreas-Salomé, que la mise en scène de soi avant d’écrire est un geste de soin littéraire. Les bijoux de Colette n’étaient ni des fioritures ni des excentricités. Ils étaient des instruments silencieux de sa liberté scripturale.
Peut-être est-ce là une invitation adressée à chacune d’entre nous : transformer nos accessoires en sentinelles du geste créatif. Car il ne faut parfois qu’un petit gri-gri au doigt pour oser écrire une phrase de plus, un souffle plus sincère, un récit plus proche de ce que nous sommes.