Louisa May Alcott est essentiellement connue pour son œuvre majeure, Little Women (publié pour la première fois en 1868), mais derrière la plume se cachait une femme bien plus complexe que sa réputation victorienne et son image d’autrice de littérature jeunesse pourraient laisser présager. Pour qui s'intéresse à l’histoire littéraire à travers le prisme du vêtement, les robes de Louisa May Alcott racontent une tout autre histoire : celle d'une femme à contre-courant, pragmatique, engagée, et plutôt rétive aux normes de la féminité imposée.
La robe comme marque de sobriété et de résistance
Dans une société américaine du XIXe siècle où la silhouette féminine se devait d'être corsetée pour correspondre aux idéaux bourgeois, Alcott s’est souvent vêtue avec une grande sobriété. Ses tenues n’avaient rien de spectaculaire : tissus sombres, lignes simples, absence d’ornements superflus. Cette austérité volontaire reflétait sa méfiance envers les artifices et ses convictions profondément ancrées dans le transcendantalisme et le féminisme.
Louisa avait grandi dans un foyer intellectuel, marqué par des figures comme Ralph Waldo Emerson et Henry David Thoreau. Comme eux, elle voyait dans la consommation excessive et l'apparence une menace à l'authenticité personnelle. Ainsi, ses choix vestimentaires sobres étaient une manière silencieuse de résister à l'assignation de genre que la mode imposait aux femmes de son temps.
Des vêtements fonctionnels pour une vie active
Dans des lettres personnelles et des récits biographiques, Alcott exprime son agacement face aux exigences sociales à propos de la tenue féminine. Elle critiquait notamment le port du corset, symbole de contrainte et de soumission. Elle se vêtissait souvent de vêtements fonctionnels mieux adaptés à sa vie rythmée : écriture, engagements sociaux, séances de lecture auprès des blessés de la guerre de Sécession.
Selon Harriet Reisen, autrice de Louisa May Alcott: The Woman Behind Little Women, Louisa préférait des robes simplifiées, parfois presque masculines dans leur coupe. Ce rejet de la mode conventionnelle s’alignait parfaitement avec ses prises de position : elle ne se voyait pas comme une femme d’ornement, mais comme une travailleuse acharnée, une écrivaine engagée et une observatrice lucide de la condition féminine.
L’influence de sa garde-robe sur ses personnages littéraires
Il n’est pas anodin que Jo March, alter ego évident d’Alcott dans Little Women, rejette les robes sophistiquées, exaspérée à l’idée qu’on veuille la « transformer en petite dame convenable ». Comme Louisa, Jo préfère les vêtements amples, simples, qui laissent une liberté de mouvement et d’esprit. Dans ce roman comme dans d’autres, le vêtement devient un indicateur de la psychologie des personnages féminins, plus que de leur place sociale.
Cette lecture symbolique du vêtement se retrouve également chez d’autres autrices que nous avons explorées dans nos dossiers, comme Anaïs Nin, pour qui la garde-robe servait d'outil de séduction intellectuelle et d'affirmation identitaire.
Minimalisme vestimentaire et modestie radicale
Les biographes de Louisa May Alcott notent également que son manque d'intérêt pour la mode classique s'accompagnait d’une profonde modestie. Dans ses journaux intimes, elle regrette souvent d’être perçue comme austère, mais insiste sur le fait qu’elle ne peut prétendre à une apparence qui ne lui correspond pas intérieurement. Elle ne se considérait pas comme belle et semblait presque soulagée que ses vêtements ne rappellent pas à l’observateur une prétendue féminité flamboyante.
Il serait réducteur, cependant, d’y voir une simple négligence. Ce minimalisme vestimentaire était, pour Alcott, le reflet moral d'une existence placée sous le signe de l’économie, de la dignité, et du devoir. Une ligne qu’on peut également mettre en parallèle avec le rapport très conscient aux étoffes qu'entretenait Alfonsina Storni, où le choix des matières s’ancre dans un projet de travail et de création littéraire.
Des costumes de scène à la construction de soi
Avant de devenir autrice à succès, Louisa avait travaillé quelque temps comme actrice dans des troupes amateurs. Elle y fabriquait souvent ses propres costumes et, là encore, ses choix étaient guidés par un mélange de fonctionnalité et d’économie, mais aussi par la volonté de contrôler le rôle qu'elle incarnait. Cela préfigure déjà une conscience très moderne de l’habillement comme outil performatif, permettant d'explorer ou de rejeter certains aspects de l'identité féminine.
Dans un contexte strictement littéraire, cette idée du vêtement comme médiation entre soi et le monde n’est pas rare : on peut penser à Victor Hugo, qui écrivait parfois vêtu de longues redingotes noires dans une pièce fermée à double tour, recréant autour de lui un sanctuaire textile propice à l'inspiration.
Ce que sa garde-robe nous dit aujourd’hui
À l’heure où le mouvement slow fashion connaît un regain d’intérêt parmi les jeunes générations, redécouvrir l’approche vestimentaire de Louisa May Alcott offre une alternative inspirante à l’excès de tendances et à la pression des normes sociales. Sa manière de se vêtir – honnête, fonctionnelle, ancrée dans ses convictions – a peut-être plus de résonance aujourd’hui que jamais.
Choisir ses vêtements devient un acte signifiant, en accord avec des valeurs écologiques, sociales ou philosophiques. Comme Alcott, certaines femmes d’aujourd’hui s’emploient à faire de leur apparence un prolongement de leur pensée. En cela, elle ne se contentait pas d'écrire des récits progressistes : elle les vivait, jusque dans le choix de ses robes. Le tissu, chez cette femme de lettres, n’est jamais neutre.
Pour celles qui trouvent dans la littérature une manière de vivre au monde, lire Alcott et comprendre sa relation singulière au vêtement, c’est ouvrir une nouvelle porte vers une écriture incarnée. Une robe peut alors devenir, comme chez Paul Éluard ou d’autres créateurs, un prolongement de l’intime, un manifeste silencieux, une forme d'engagement esthétique et politique.