Lorsque l'on regarde l'adaptation cinématographique d'un roman que l'on a aimé, il est fréquent de ressentir un curieux mélange d'anticipation, d'émerveillement et parfois de déception. Parmi tous les éléments qui constituent une adaptation, les costumes occupent une place centrale et ambiguë. Ils incarnent visuellement ce que nous avons imaginé pendant notre lecture. Mais plus encore, ils révèlent ce que le cinéma pense que nous attendons en tant que lecteurs, et ce que la société valorise dans notre rapport à la littérature.
Comment les costumes traduisent l'imaginaire des lecteurs
L'un des défis majeurs d’une adaptation cinématographique réside dans la traduction du monde intérieur d’un roman en images tangibles. Les costumes sont souvent les premiers vecteurs de ce passage. Ils donnent forme, peau, texture et couleur aux personnages intangibles du roman.
Par exemple, dans Orgueil et Préjugés (2005), les costumes fidèlement inspirés de la mode régence anglaise permettent de matérialiser l’univers de Jane Austen, mais ils véhiculent aussi les états d’âme, les enjeux sociaux et les aspirations personnelles de ses personnages. La simplicité de la robe de Lizzy Bennet face aux toilettes sophistiquées de Caroline Bingley traduit parfaitement leurs oppositions morales et sociales.
Le choix des tissus, des coupes, des couleurs n'est jamais purement esthétique : il devient un langage parallèle au texte. Le cinéma reconstruit ainsi l’imaginaire collectif autour d’une œuvre, ce qui peut provoquer des réactions contrastées parmi les lectrices : certaines se sentent comprises et ravies, tandis que d'autres expérimentent un décalage entre leur interprétation intime et la vision imposée du film.
Quand le costume devient code culturel : entre fidélité et actualisation
Les adaptations modernes prennent parfois des libertés avec les styles vestimentaires d’une époque pour renforcer la connexion avec le public contemporain. Ce procédé, qu'on appelle souvent « anachronisme stylistique contrôlé », consiste à moderniser certains éléments pour réactualiser le propos du roman.
Un exemple emblématique est Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola, adaptation libre du livre d'Antonia Fraser. Les costumes reprennent les formes du XVIIIe siècle tout en y intégrant des touches modernes, comme les célèbres baskets Converse glissées dans une scène. Ce choix visuel rappelle au spectateur que la protagoniste était une adolescente propulsée dans un monde d’adultes, créant un pont entre les jeunes lectrices d'aujourd’hui et la figure historique.
Ce type de relecture visuelle pose une question intéressante : ces choix, s’ils s’éloignent de la lettre du roman, sont-ils infidèles, ou permettent-ils au contraire d’en approfondir l’esprit ? L’adaptation peut ainsi devenir une manière de redonner du sens au texte, en fonction de notre époque.
Costumes et personnages féminins : la matérialisation des archétypes littéraires
Dans de nombreuses adaptations, les héroïnes sont identifiables dès le premier plan où elles apparaissent. Cela repose en grande partie sur leur tenue. Le costume devient alors un outil de narration visuelle extrêmement puissant, qui condense parfois en un seul regard ce que des pages entières avaient pris le temps de développer.
Dans Avant toi de Jojo Moyes, le style de Louisa Clark – coloré, excentrique, naïf – est soigneusement traduit à l’écran par des tenues pleines de motifs, d’accessoires inhabituels, créant immédiatement l’image d'une femme différente, fidèle à son monde intérieur. Ce que le texte suggère avec subtilité, le costume l’explicite parfois avec force, réduisant ou amplifiant la marge d’interprétation laissée au lecteur.
Ce phénomène s’observe avec d’autres œuvres comme Eleanor Oliphant est complètement décalée, où l’apparence trop ordonnée de la protagoniste devient un révélateur de son isolement intérieur. Les lectrices qui se sont identifiées à Eleanor par ses pensées sont parfois surprises de la voir représentée si différemment de ce qu’elles avaient imaginé mentalement.
Les univers fantastiques et jeunes adultes : traduire le monde intérieur adolescent
Dans les romans jeunesse aux forts éléments fantastiques ou symboliques, les costumes doivent recréer une esthétique puissante à partir de décisions narratives subtiles. Dans la saga Harry Potter, par exemple, les uniformes de Poudlard et leurs variantes évoluent au fil des épisodes. Ces variations reflètent non seulement le passage du temps et l'évolution morale des personnages, mais aussi la lecture que les réalisateurs font de l’adolescence : conformisme d'abord, individualisation ensuite.
D'autres œuvres comme Twilight montrent comment les costumes véhiculent une esthétique romantique sombre, propre à séduire une génération fascinée par les figures mélancoliques. L’univers visuel, y compris vestimentaire, joue un rôle de transmission de sentiments et d’identification puissante. Les choix de textures sombres, de vêtements sobres mais mystérieux, augmentent la charge émotionnelle du non-dit.
Le costume comme filtre entre texte et spectateur
En définitive, lorsque l’on observe les tenues portées dans les adaptations filmiques de romans, on ne regarde pas seulement des habits : on regarde une interprétation. Le costume agit comme une lentille à travers laquelle la lecture est traduite, parfois trahie. Et cela nous renvoie à notre propre lecture : qu’avons-nous imaginé ? Pourquoi cela diffère-t-il de la version filmée ?
La richesse des ressentis qu’éveillent les costumes au cinéma prouve l’intensité de notre rapport à la lecture. Car lire un roman, c’est aussi, inconsciemment, projeter un monde esthétique. En voyant ce monde représenté à l’écran, nous touchons à la tension entre le singulier et le collectif, entre notre imagination personnelle et celle que le cinéma nous propose en commun.
Enfin, certains livres, très visuels dans leur narration mais jamais adaptés, nous donnent envie d’imaginer nous-mêmes les costumes. Dans Le Livre de Perle de Timothée de Fombelle, par exemple, les univers enchâssés semblent appeler à une gestuelle cinématographique, qui inclurait naturellement une proposition symbolique sur les vêtements. Le fait qu’une adaptation n’existe pas nourrit peut-être davantage encore notre propre monde visuel intérieur.
Conclusion : quand le vêtement raconte la lecture
Les costumes des films adaptés de romans sont bien plus que des éléments scénographiques : ils sont le point de rencontre entre une œuvre littéraire, une vision cinématographique, et notre intimité de lectrice. En tant que femmes lectrices, nous y projetons souvent notre propre rapport au texte : nos attendus, nos rêves, notre manière d’habiter les personnages. Et parfois, face à une tenue mal choisie ou à l’inverse, profondément juste, nous comprenons ce que nous avions réellement ressenti à la lecture. C’est peut-être là la force silencieuse du vêtement dans les adaptations : faire parler ce que la lecture a éveillé en nous.