À l’évocation du nom George Sand, le portrait d’une femme à la plume indomptable s’impose. Mais derrière cet alias masculin se cache Amantine Aurore Lucile Dupin, une figure littéraire majeure du XIXe siècle qui a dû adopter bien plus qu’un pseudonyme pour exercer sa vocation. Porter des pantalons, signer d’un nom d’homme, affronter les conventions… l’écrivaine n’a cessé de déjouer les carcans pour écrire en toute liberté. Cet article explore les divers « déguisements » – sociaux, vestimentaires et littéraires – qu’a utilisés Amantine Dupin pour affirmer sa voix dans un monde dominé par les hommes.
Pourquoi Amantine Dupin a choisi le pseudonyme de George Sand
L’adoption du pseudonyme George Sand par Amantine Dupin n’a rien d’anodin. Au XIXe siècle, la littérature est un bastion masculin. Les autrices qui veulent y entrer doivent souvent emprunter des noms d’hommes. Ce fut le cas également de Mary Ann Evans (George Eliot) ou encore d’Aurore Dudevant, devenue George Sand. Elle choisit ce nom lors de sa collaboration avec Jules Sandeau pour publier « Rose et Blanche » en 1831. Le pseudonyme naît alors de cette collaboration : George pour l’affirmation littéraire, Sand pour la continuité d’un nom déjà publié.
Mais ce choix est plus qu’une stratégie éditoriale : c’est une déclaration d’indépendance. Il permet à Amantine d’échapper au regard social porté sur les femmes écrivaines de son temps. Elle peut ainsi publier des œuvres engagées, politiques, parfois provocantes, sans les filtrer. Son pseudonyme devient dès lors un masque qui protège et libère.
Le vêtement masculin comme arme de liberté
En plus du pseudonyme, George Sand choisit aussi le déguisement physique. Elle ne s’en cache pas : dans ses écrits, elle raconte volontiers comment elle s’habillait en homme pour circuler librement dans Paris, un luxe que la société refusait aux femmes. Vêtue d’une redingote, de bottes et d’un pantalon, coiffée d’un chapeau haut-de-forme, elle déambule dans les rues sans attirer les regards.
Mais cet accoutrement ne se limite pas à une fonction pratique. Il est manifeste. Il conteste les normes. Il dit haut et fort : « Je n’obéirai pas à vos règles si elles me brident. » En portant l’habit masculin, George Sand se donne un accès au monde réservé aux hommes, celui des cafés, des éditeurs, des salons littéraires. Cela lui permet aussi d’éviter la censure sociale qui pèse sur les femmes seules, trop visibles ou trop libres.
Un autre exemple de femme ayant utilisé le vêtement comme vecteur d'émancipation littéraire est Ninon de Lenclos, qui osait jouer avec les codes pour affirmer une plume libertine et affranchie.
Une plume libérée par ses choix de vie
George Sand ne s’est jamais contentée d’un simple bouleversement esthétique. C’est tout son mode de vie qui devient une matière d’écriture et un terrain de subversion. En quittant son mari en 1835, elle vit de sa plume – un exploit rare pour une femme à cette époque – et élève seule ses enfants. Elle entretient des relations amoureuses célèbres et parfois scandaleuses, notamment avec Alfred de Musset ou Frédéric Chopin. Mais au cœur de tout cela : sa liberté créative.
Dans « Indiana » (1832), son premier roman publié sous le nom de George Sand, elle aborde l’injustice du mariage imposé. Dans « Lélia » (1833), elle explore la sensualité féminine et la quête spirituelle. Chacun de ses textes devient un manifeste, un cri pour l’autonomie de pensée.
Ses choix de vie et son œuvre sont intimement liés : ils se nourrissent l’un de l’autre. Cette fusion entre le vécu et le texte rappelle celle de Colette, pour qui les objets personnels – comme ses bijoux porte-bonheur – accompagnaient et libéraient son écriture.
Une solidarité féminine et littéraire avant l'heure
George Sand a aussi joué un rôle de mentor pour d’autres écrivaines. Elle entretiendra une correspondance avec Fanny Lewald et encouragera des figures féminines dans plusieurs milieux artistiques. On la voit comme une pionnière, non seulement pour sa propre carrière, mais aussi par sa capacité à ouvrir la voie à d’autres.
Cette sororité trouve un écho dans la manière dont Cristina Campo, bien plus tard, liait sa sensibilité littéraire et son élégance silencieuse pour parler à d’autres femmes en marge des standards sociaux. George Sand, en cela, fut un modèle de courage féministe intuitif, avant l’heure.
Un héritage toujours vivant chez les lectrices d’aujourd’hui
Pourquoi George Sand continue-t-elle à fasciner ? Peut-être parce qu’elle a incarné, avec quelques décennies d’avance, des combats toujours d’actualité : l’égalité des sexes, la liberté d’expression, l’indépendance financière et artistique des femmes. Ses « déguisements » – pseudonymes, vêtements masculins, attitudes anticonformistes – nous rappellent qu’il est souvent nécessaire de prendre des détours pour accéder à la liberté.
Lire George Sand, c’est plonger dans une œuvre généreuse, aux personnages féminins denses et puissants, mais aussi observer une femme qui a su déjouer les pièges d’un monde bâti pour l’empêcher d’écrire. Une inspiration pour chacune d’entre nous, que l’on écrive ou non.
Cette capacité à protéger l’espace intime de création, on la retrouve aussi dans le rituel d’écriture d’Isak Dinesen : une boîte à trésors où se nichent les secrets d’un monde intérieur préservé des regards extérieurs.
Conclusion : se cacher pour mieux se révéler
Les déguisements d’Amantine Dupin n’étaient pas des mascarades. Ils étaient des stratégies, des boucliers, des clefs. Sous le nom de George Sand et dans ses vêtements d’homme, elle ne cessait de dire : « Je suis libre d’exister comme je l’entends. » Cette liberté bâtie à coup d'audace et de ténacité reste une source précieuse d’inspiration pour toutes celles qui cherchent à faire entendre leur voix dans un monde encore souvent normé.